L’effet Hawthorne est un phénomène psychologique. Il a des implications importantes sur les techniques utilisées dans le cadre des études de marché, notamment en matière d’interviews qualitatives et de sondages. L’effet Hawthorne est l’observation selon laquelle les individus modifient ou améliorent leur comportement lorsqu’ils ont conscience d’être observés. Dans cet article je reviens sur l’histoire intéressante de la découverte de l’effet Hawthorne ainsi que sur ses effets en recherche qualitative et quantitative.
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Effet Hawthorne : une histoire étonnante
L’effet Hawthorne a une histoire tout à fait étonnante. Il a en effet été découvert de manière fortuite 30 ans après que des analyses ont été menées dans les années 1924 et 1932 à l’usine Western Electric Hawthorne Works à Chicago. Des chercheurs y avaient été envoyés pour étudier l’impact de l’éclairage sur la productivité des travailleurs. L’effet de la lumière sur la productivité fut définitivement infirmé en 2011.
En 1958, près de 30 ans après la dernière expérience, Henry Landsberger reprit les données collectées en 1924 et 1932 et proposa une nouvelle hypothèse qu’il baptisa « effet Hawthorne ». Cette hypothèse était que l’attention portée aux travailleurs, plutôt que l’éclairage lui-même, influençait la productivité.
L’effet Hawthorne : définition
L’effet Hawthorne repose donc sur l’idée que les individus sont plus motivés et travaillent plus dur lorsqu’ils se sentent observés et valorisés. Cela suggère que la reconnaissance et l’attention peuvent être des facteurs puissants de motivation humaine. C’est ce qui explique que l’effet Hawthorne a été popularisé dans le domaine de la gestion des ressources humaines.
De manière plus globale, les effets se font sentir dans tous les domaines où une interaction humaine entre en jeu. C’est donc naturellement qu’il nous faut parler du domaine des études de marché où ces interactions sont à la base de la récolte d’informations.
Implications de l’effet Hawthorne dans les études de marché
Dans ce paragraphe je vais distinguer les 2 techniques principales utilisées dans les études de marché :
- techniques qualitatives : entretiens individuels, focus groups, observations
- techniques quantitatives : sondages, analyses big data
Le point commun de toute cette section, c’est que la conscience d’être observé peut influencer le comportement des participants à une étude.
Techniques qualitatives
Les interactions humaines sont à la base des méthodes qualitatives. Les biais de l’interviewer sont un vrai défi lorsqu’il s’agit d’obtenir des résultats fiables. Le rôle du modérateur dans les focus groups a été maintes fois souligné et c’est sans doute un des points faibles de cette approche.
Dans les entretiens individuels, l’effet Hawthorne se manifeste lorsque les réponses de l’interviewé visent à impressionner l’intervieweur ou à déformer la réalité d’une situation. Cette déformation peut d’ailleurs s’opérer dans les deux sens : en exagérant ou en minimisant la réalité de la situation. La minimisation est particulièrement d’application lorsque des questions sensibles sont posées. Corkrey and Parkinson (2002) ont ainsi trouvé que le taux rapporté de consommation de marijuana était 58% plus élevé dans une interview auto-administrée que dans une interview en face-à-face.
En ce qui concerne les focus groups, l’effet Hawthorne est multiplié par le nombre de participants. Non seulement chaque participant a conscience d’être observé par le modérateur, mais en plus il faut s’accommoder du regard des autres participants. L’analyse des résultats doit donc tenir compte :
- de la volonté de chaque participant d’adapter son comportement par rapport au modérateur
- de l’effet de groupe qui incite les participants à vouloir « briller » par rapport aux autres
Pour finir, il faut aborder le cas des observations. C’est une technique ethnographique bien ancrée dans la recherche qualitative mais qui reste rarement utilisée dans les études de marché. Les observations peuvent être participatives ou non-participatives. Elles sont participatives lorsque le chercheur interagit volontairement avec le sujet et prend en considération son propre effet sur les résultats obtenus. Elle sont non-participatives lorsque le chercheur se met en retrait et n’interagit pas. Il faut garder à l’esprit que même en mode non participatif la conscience d’être observé peut être présente et que l’effet Hawthorne peut donc jouer un rôle.
Techniques quantitatives
Je vais distinguer ici le cas des enquêtes quantitatives (sondages) et des analyses de données « observées ».
Le cas des sondages est particulièrement intéressant. Il y a de multiples modes d’administration pour un sondage :
- Entretiens en face à face : l’enquêteur lit les questions puis enregistre les réponses au format papier. C’est ce qu’on appelle le PAPI (Pen And Paper Interview)
- Enquêtes téléphoniques : les questions sont toujours posées à l’oral et les réponses généralement encodées sur ordinateur directement. C’est ce qu’on appelle le CATI (Computer Assisted Telephone Interview)
- Enquêtes par courrier : le répondant remplit un questionnaire papier en l’absence d’un enquêteur
- Auto-administration sur ordinateur : c’est ce qu’on appelle les sondages en ligne ou méthode CAWI (Computer Assisted Web Interview).
Les études scientifiques montrent très clairement que la présence d’un enquêteur affecte les résultats obtenus. J’ai déjà parlé des questions sensibles et de la sous-estimation de la consommation de marijuana en présence de l’enquêteur. De manière générale, en matière de drogues, on considère que la présence d’un enquêteur entraîne une erreur de 30%. Le même effet peut se produire pour d’autres types de questions, notamment lorsque des valeurs morales sont en jeu. Je vous invite à regarder sur l’illustration ci-dessous les différents types de questions sensibles pour lesquelles l’effet Hawthorne peut être d’application.
L’autre approche quantitative consiste à analyser des « traces numériques » laissées par les internautes. Dans ce cas il n’y strictement aucun effet Hawthorne à craindre. Il s’agit en effet de données « observées », c’est-à-dire qu’elles correspondent au comportement online le plus naturel.
Comment gérer l’effet Hawthorne
Pour minimiser l’effet Hawthorne, des solutions existent.
La première consiste bien entendu à privilégier les méthodes par auto-administration. Pour les sondages, cela revient par exemple à opter pour une approche CAWI (Computer Assisted Web Interview). La bonne nouvelle c’est que cette approche méthodologique est devenue le standard en matière de sondage depuis au moins 10 ans.
Pour les techniques qualitatives où l’interaction est une composante essentielle, cela est naturellement plus compliqué. Dans le cas des approches ethnographiques, le mieux est de privilégier une observation non-participative et la plus discrète possible. Imaginez que vous êtes un naturaliste en train d’observer une espèce nouvelle dans son habitat naturel et que votre but est de ne pas vous faire voir.
Dans le cas des interviews et des focus groups, la seule précaution possible est de garantir l’anonymat. C’est donc quelque chose que vous devez annoncer avant le début de l’entretien ou du focus. Vous pouvez utiliser par exemple les termes suivants :
« Je souhaitais vous informer que tout ce que vous direz lors de cet entretien sera strictement confidentiel et anonyme. A aucun moment nous ne communiquerons votre identité au commanditaire du projet. Tout élément de nature personnelle, comme votre nom et votre prénom, sera remplacé par un code. Je vous encourage à être le plus transparent possible dans vos propos. Sachez enfin que mon rôle n’est pas de porter un jugement mais uniquement de recueillir votre témoignage qui nous a semblé essentiel pour ce projet ».
Cette phrase permet à la fois de
- garantir l’anonymat de la personne et de la rassurer
- valoriser sa contribution dans le cadre du projet
Conclusion
L’effet Hawthorne est un concept clé pour comprendre la motivation et le comportement humain au travail. Ses implications sont également importantes dans le domaine des sciences humaines. La réalisation d’une étude de marché, qu’elle se fasse à l’aide de techniques quantitatives ou qualitatives, doit en tenir compte.
Afin d’éviter les problèmes, nous vous conseillons d’opter systématiquement pour des techniques en auto-administration (par exemple pour les sondages) et pour les recherches qualitatives de donner des garanties d’anonymat au répondant.
Références
Gillespie, R. (1991). Manufacturing knowledge: A history of the Hawthorne experiments. Cambridge: Cambridge University Press.
Adair, J. G. (1984). The Hawthorne effect: A reconsideration of the methodological artifact. Journal of Applied Psychology, 69(2), 334-345.
Publié dans Recherche.