8 septembre 2015 1271 mots, 6 min. de lecture

Et si les banques se servaient de Facebook pour décider de l’obtention d’un prêt ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Avez-vous entendu parler du « dernier » brevet de Facebook pour évaluer, sur la base de votre réseau social, si un prêt pour sera accordé ou pas ? Tout le monde en parle mais malgré tous mes efforts j’ai été incapable de […]

Avez-vous entendu parler du « dernier » brevet de Facebook pour évaluer, sur la base de votre réseau social, si un prêt pour sera accordé ou pas ? Tout le monde en parle mais malgré tous mes efforts j’ai été incapable de trouver ce fameux brevet dans les archives récentes de l’US Patent and Trademark Office. Comment c’est curieux … Pourtant, de nombreux articles font le lien vers un document officiel. Je suppose que peu de journalistes ont effectivement pris le temps de lire ce qu’il y avait dans ce document parce qu’il n’a rien à voir, ni de près ni de loin, avec l’objet de l’article. J’ai fini par retrouver le véritable brevet et l’analyse pour vous dans la suite de cette article.

Voici le véritable brevet … qui date de 2012

Le texte cité par les journalistes fait en fait référence à un vieux brevet de 2012 dont le numéro est le 13 / 565,500 et qui s’intitule  «Autorisation et authentification basées sur le réseau social d’une personne » (en anglais : Authorization and authentication based on an individual’s social network”). Afin de rendre la lecture de ce document plus simple, je le mets à votre disposition sur ce site au format pdf.
Le but principal de cette invention est de permettre un accès à un réseau via un identificateur social. La description contenue dans le brevet est la suivante :

The invention provides a method of authorizing transmission of content to an individual as a way to filter out unwanted communication such as SPAM or content that the individual might find to be offensive, and a method of authenticating individuals for access to content or service that makes the content or service available to more users while limiting access to potentially abusive users of the content or service.

 

Ça vous rappelle quelque chose ? C’est le Facebook Connect !

Qu’en est-il de la décision d’octroi d’un crédit à partir de son réseau social ?

Cette thématique concerne seulement une petite partie du brevet en question et est détaillée dans un diagramme (la figure 9). Voici ce qui est expliqué (si vous n’avez pas envie de lire passez directement au décryptage après ce passage)

FIG. 9 is a flow diagram that illustrates the steps carried out in authenticating B for access to a loan. In Step 910, the lender receives a request for a loan from B. The request includes certain identifying information of B, such as B’s e-mail address. In Step 920, in accordance with the methods described in the application, « Method of Sharing Social Network Information with Existing User Databases, » (U.S. patent application Ser. No. 10/854,610, issued as U.S. Pat. No. 8,478,078), filed Jun. 14, 2004, this lender makes a request to a social network database for a graph representation of B’s social network and receives the graph representation of B’s social network. In Step 930, a black list that is maintained for B is requested and received from the social network database in the same manner as in Step 920. In Step 940, a gray list is derived from the black list and B’s social network In Step 950, a breadth first search (or alternatively, a depth first search) is conducted on B’s social network to generate a white list. All members of B’s social network who are connected to B along a path that does not traverse through any unauthorized nodes (i.e., individuals identified in the gray list) get included on this white list. Optionally, the lender may specify a maximum degree of separation value (e.g., N.sub.max). If it is specified, the white list will include only those members of B’s social network who are within N.sub.max degrees of separation from B. In Step 960, the credit ratings of individuals in the white list are retrieved and weighting factors are applied to the credit ratings based on the degree of separation between the individual and B. As an example, a weighting factor of 1/10.sup.N may be applied to the credit ratings, where N is the degree of separation between the individual and B. If the average credit rating is above a minimum score, B is authenticated and the processing of B’s loan application is permitted to proceed (Steps 970 and 980). If not, B is not authenticated, and B’s loan application is rejected (Steps 970 and 990).

Essayons de comprendre ce qui se cache derrière ce charabia. J’aimerais en particulier vous expliquer comment Facebook, grâce à ce brevet, finira par savoir encore plus sur nous et comment les banques seront les perdantes dans l’affaire.

Analyse du brevet Facebook pour l’octroi d’un crédit via un réseau social

Attachons-nous maintenant à comprendre le contenu de ce brevet. Il y a en fait trois principales composantes dans le processus d’octroi de crédit:

  1. Une personne demande un prêt. La demande de prêt contient l’adresse e-mail du demandeur
  2. La banque utilise l’adresse e-mail pour obtenir une représentation visuelle des notes de crédit du réseau social autour de cette personne ; en particulier la banque interroge le réseau social pour tester la proximité du demandeur avec des personnes sur liste noire.
  3. La décision est prise par la banque d’examiner plus en profondeur le dossier, cette décision étant basée sur les notes de crédit des « amis facebook » situés dans un périmètre donné  (ce périmètre est défini comme dépendant des degrés de séparation avec le demandeur: amis de premier degré, de deuxième degré, …)

Quelle est l’astuce derrière ce nouveau brevet ?

Quand j’ai lu les articles sur un « nouveau » brevet de Facebook je me suis immédiatement posé la question: «où est l’intérêt de Facebook dans tout ça ?« . Vous devez vous rendre à l’évidence : derrière chaque nouveauté sortie par Facebook il y a toujours un côté obscur. Facebook va toujours essayer de tirer le maximum de ses innovations. Et il ne s’agit pas toujours de retombées financières immédiates. Dans le cas présent la clé se cache dans cette phrase:

« Une liste noire qui est maintenue B est demandée et reçue de la base de données du réseau social » (« a black list that is maintained for B is requested and received from the social network database »)

Comprenez-vous ce que cela signifie ? Que la banque va peut-être devoir charger (uploader), sur les serveurs de Facebook, un listing avec l’évaluation de ses clients. Cette liste sera utilisée par Facebook pour produire le résultat voulu (la cartographie avec les membres « blacklistés »). La banque ne possédera jamais vraiment les résultats renvoyés par Facebook. Elle restera dépendante de Facebook.

Mon point de vue

Bien que son application reste hypothétique, ce brevet montre une fois de plus les objectifs de Facebook. Facebook veulent posséder toutes les données possibles et imaginables sur ses membres. L’ogre est insatiable. Facebook veut devenir un référentiel central de données sur l’humanité.
En 1911, les Etats-Unis ont reconnu que le monopole détenu par la Standard Oil de Rockefeller devait être démantelé. Un tel édifice commercial était trop dangereux pour la démocratie. Un siècle plus tard, la même situation se produit à nouveau. Aujourd’hui, l’or noir s’appelle « données ». Deux sociétés ont atteint des proportions effrayantes : Google et Facebook. Mais l’une d’elle me semble encore plus effrayante que l’autre.



Publié dans Data et IT, Innovation, Marketing.

2 commentaires

  1. Un très bon blog 🙂
    Dans le cadre des travaux IA et Smart Data du Medef, nous avions évoqué cette technique et au delà des interdits réglementaires sur le marché européen, les banquiers présents semblaient déçus des prototypes basés sur la donnée sociale. L’un d’eux évoquaient en revanche une franche réussite en Inde (micro-credit) où les taux naturels exorbitants (autour de 20% de mémoire) avaient pu être divisés par 4 en s’appuyant simplement sur la geoloc du GSM et les historiques d’appels de l’emprunteur (fidélité magasin, permanence des relations sociales…). Globalement en Europe, la note Bâle II semble rarement améliorée par l’apport de données externes. Les améliorations proviennent surtout de la nature des algorithmes (gradient boosting?). Quoiqu’il en soit, avec DSP II, Facebook aura vraisemblablement tout intérêt à pousser son avantage et les moyens de le faire

  2. Merci pour votre réponse. Vaste sujet.
    Dans le secteur de l’assurance auto et des boîtes noires la variance expliquée sur la base des données récoltées semblait insatisfaisante ce qui a fait reculer certaines et conduit d’autres à arrêter leurs POC.
    Je ne pense personnellement pas que la nature des algorithmes soient la clé à tout. Lors de la conférence RecSys 2017 nous avons vu par exemple que le deep learning n’amenait pas de gains (au contraire) en termes de variance expliquée.
    La vérité est dans les données et les gains se font sur l’inclusion des bonnes variables. Pour un client français par exemple nous avons réalisé une mission de prédiction du churn et ne pouvions expliquer que 10% de la variance sur la base des données socio-démo qu’il avait mises à notre disposition. Ce n’est qu’en allant chercher d’autres données sur la dynamique du marché, les offres concurrentes, en modélisant de nouvelles variables transactionnelles que nous avons pu améliorer le modèle et atteindre les 70%. Même expérience chez un cablo-opérateur où nous sommes repassés par une étude qualitative afin d’identifier les antécédent du churn pour ensuite s’apercevoir que ces derniers ne faisaient pas l’objet d’une collecte de données (d’où le peu de variance expliquée par le cabinet « Big Four » duquel nous avions récupéré la mission).

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