18 septembre 2023 1295 mots, 6 min. de lecture

Innovation alimentaire en panne (-12,7%) : les tendances en 2024

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Le nombre d'innovations dans le secteur alimentaire a baissé de 12,7% dans le monde en 2022. La baisse dépasse même les 20% pour la France. Dans cet article nous analysons les chiffres 2022 et nous penchons sur les tendances de l'innovation alimentaire pour 2024.

Le secteur alimentaire est sous tension. D’une part, les matières premières sont soumises à des variations d’approvisionnement jamais vues (conflits, tensions géopolitiques, réchauffement climatique), d’autre part, les consommateurs sont étranglés par l’inflation. Les distributeurs ont eu tendance à retirer des produits des rayons. Les industriels quant à eux ont commencé par la shrinkflation et limitent désormais drastiquement leurs innovations pour couper dans leurs coûts. En période de crise, c’est la variété qui trinque. Plus que jamais il est important de comprendre les grandes tendances afin de faire les bons choix.

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Innovations alimentaires 2022 : 7 statistiques

  • Le nombre de nouveaux produits alimentaires lancés en 2022 dans le monde a baissé de 12,7%
  • En France, le nombre de nouveaux produits alimentaires lancés en 2022 a baissé de 23%
  • 10,2% des innovations alimentaires en 2022 concernent des boissons sans alcool
  • 47% des innovations alimentaires mondiales se concentrent sur le plaisir du consommateur
  • 31,4% des innovations alimentaires dans le monde sont axées autour de la santé
  • Seuls 5,5% des innovations alimentaires de 2022 mettent en avant la praticité
  • 10,2% des innovations alimentaires dans le monde appartiennent à la catégorie « boissons sans alcool » (en hausse de 0,6 point par rapport à 2021)

Lors du SIAL 2022 il apparaissait clairement que le végétal en général, et la viande végétale en particulier, avaient la cote. Ce cas particulier cachait un problème plus complexe sur l’innovation alimentaire. Une étude publiée au mois de Juin montre sans ambiguïté que les professionnels de l’alimentation ont très nettement ralenti le rythme de leurs innovations en 2022.  Le recul est sensible : -12,7% entre 2021 et 2022.

viande vegetal : stand La Vie au SIAL 2022

Au SIAL 2022, les sociétés actives dans le secteur de la viande végétale étaient très nombreuses.

Un ralentissement hétérogène

En France, le ralentissement est particulièrement fort. Alors que 3093 nouveaux produits avaient été recensés en 2021, ils ne sont plus que 2374 en 2022 (-23%). Le ralentissement en Europe est particulièrement fort mais il l’est moins en Asie et aux Etats-Unis.

Il n’en reste pas moins que cette chute du nombre de nouveaux produits dans le secteur agroalimentaire est inédite dans l’histoire récente. Depuis 25 ans, l’alimentation avait été une source constante de renouveau. Il se disait d’ailleurs que 10% des 30000 innovations mondiales annuelles étaient visibles au SIAL une fois tous les 2 ans.


Pourquoi le nombre d’innovations alimentaires diminue en 2022

Les raisons de ce ralentissement sont multiples mais ont une cause commune : l’incertitude. La crise du Covid d’abord, puis la crise inflationniste ensuite, ont mis les entreprises sous tension financière. Plus que jamais les entreprises doivent se serrer la ceinture. Ceci est d’autant plus nécessaire que toutes les hausses de coûts n’ont pu être passées aux clients. Il faut donc les compenser par des réductions de coûts en interne. Le budget Recherche et Développement est, au même titre que le marketing, l’un des premiers à en pâtir.

Les projets innovants ont été stoppés en attendant d’hypothétiques jours meilleurs. Cette situation n’est pas près de s’inverser comme nous l’expliquons dans le paragraphe suivant.

chocoroll

Lors du SIAL 2016, une société avait lancé un « Chocoroll » qui permettait d’étaler plus facilement le chocolat sur les tartines. On peut débattre de sa valeur ajoutée. Ce produit n’a pas survécu dans la jungle des innovations alimentaires.


Quel avenir pour les innovations alimentaires ?

Nos analyses, ainsi que les demandes d’études de marché que nous recevons de nos clients, nous permettent de dégager 3 tendances pour les années qui viennent.

Abandon des innovations non essentielles

Avant 2022, on estimait que 4 produits alimentaires sur 5 lancés ne survivaient pas au-delà de 12 mois. En d’autres termes, le taux de mortalité à 1 an des innovations dans l’agro-alimentaire était de 80%. Les entreprises du secteur vont concentrer leurs moyens sur les innovations qui ont le plus de chances de réussir. Des innovations « marginales » auront de moins en moins de chances de voir le jour. Les études consommateurs auront donc à l’avenir un poids plus important. Elles devront déterminer d’une part les vraies intentions d’achat des consommateurs mais également les revenus à en attendre.

Priorité aux produits à plus forte valeur ajoutée

Il découle logiquement que seules des innovations à forte valeur ajoutée pourront encore trouver leur chemin vers les rayons des supermarchés. Ceci permettra aux fabricants de défendre leurs marges face à des distributeurs mis sous pression par les autorités. En France par exemple, les distributeurs ont été de nouveau convoqués par le gouvernement pour s’expliquer sur la non répercussion des baisses des efforts tarifaires consentis par les fabricants.

Toutefois, pour que cette stratégie fonctionne, il faudra que les fabricants soient en mesure de démontrer que les consommateurs perçoivent bien la valeur ajoutée. D’un point de vue méthodologique, cela signifie que l’exercice de l’étude de marché devra s’appuyer sur de nouvelles échelles de mesure. Ces dernières devront impérativement lier la valeur supplémentaire perçue, notamment gustative, à une forte intention d’achat. Il ne sera plus possible de se contenter d’intentions d’achat approximatives ou faibles. La transition de l’intention d’achat à l’achat devra être certaine une fois le produit sur le marché.

Moins de produits de milieu de gamme

Nous anticipons également que les innovations alimentaires s’articuleront autour de deux positionnement marketing opposés :

  • Le low cost
  • Le haut-de-gamme

Les produits dont le positionnement n’est pas clairement ancré à l’une ou l’autre extrémité ne verront plus le jour. Le consommateur, tant que l’inflation persistera (ce qui pourrait durer une décennie), sera contraint de revoir ses habitudes alimentaires à la baisse. Les produits les moins chers seront privilégiés dans la plupart des situations. De temps en temps, une exception sera faite et le consommateur s’autorisera un produit de marque, de meilleure qualité.

Cela signifie que les produits de milieu de gamme disparaîtront progressivement du paysage alimentaire. On peut se demander à cet égard ce que deviendront les Marques De Distributeurs (MDD). Ni vraiment low cost, ni haut-de-gamme, leur mauvais positionnement sera un handicap pour les années à venir.

Le plaisir gustatif avec des ingrédients moins chers

Les résultats de l’étude montrent clairement que quasiment la moitié (47%) des innovations alimentaires tombent dans la catégorie « plaisir gustatif ». Cette domination de l’hédonisme est une constante depuis des années, voire des décennies. La tendance va continuer mais va devoir obéir, dans les années qui viennent, à une nouvelle règle : « faire aussi bien mais avec moins ». Cela signifie que les industriels vont tenter de garder ou d’augmenter le plaisir gustatif tout en diminuant les coûts des recettes. Les ingrédients chers devront donc être substitués et certaines recettes revues entièrement. Cela donnera d’ailleurs pas mal de travail aux instituts d’études comme le nôtre qui devront analyser dans quelle mesure le plaisir est conservé.


Conclusion

Le rythme de l’innovation dans le secteur alimentaire est un témoin des contraintes subies par ce secteur. Une absence d’innovation n’est toutefois pas une option. Les acteurs de ce secteur savent que le consommateur est demandeur de nouveaux produits et que c’est la seule manière de conquérir des parts de marché. En effet, l’autre approche, une conquête par un pricing plus agressif, n’est pas vraiment une option car les marges sont déjà très minces. L’unique option serait de revoir complètement les recettes pour que des produits moins chers aient un rapport prix/plaisir plus avantageux. Or, ceci est déjà en soi une innovation.

Si vous voulez poursuivre ces réflexions, notre cabinet se tient à votre disposition avec ses équipes.



Publié dans Innovation.

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