19 janvier 2023 1062 mots, 5 min. de lecture

Shrinkflation et rationalisation : les 2 faces d’une même pièce

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
La shrinkflation est un phénomène qui a refait son apparition depuis l’emballement de l’inflation. Elle se manifeste par la réduction de la quantité de produit pour un prix équivalent. Mais la shrinkflation peut également être plus « sournoise ». Certains industriels changent […]

La shrinkflation est un phénomène qui a refait son apparition depuis l’emballement de l’inflation. Elle se manifeste par la réduction de la quantité de produit pour un prix équivalent. Mais la shrinkflation peut également être plus « sournoise ». Certains industriels changent les recettes de leurs produits et remplacent les ingrédients par d’autres moins chers. Tout ceci n’est au final que la manifestation d’une tendance plus globale : la rationalisation d’une offre devenue pléthorique sous la pression de recettes marketing simplistes. Plus de variété n’augmente pas forcément la satisfaction client.

shrinkflation : cadbury dairy milk

La shrinkflation se manifeste également sur le packaging par des affirmations qui peuvent paraître mensongères. Voici l’exemple d’une barre chocolatée de Cadbury. Reproduit avec la permission de @VNankov


Quelques mots sur la shrinkflation

En économie, la shrinkflation désigne 2 phénomènes distincts :

  • Le maintien du prix de vente d’un produit tout en diminuant sa quantité. Ceci conduit logiquement à une augmentation du prix par quantité (prix au kilo, prix au litre).
  • Un changement de recette permettant de diminuer les coûts de production. Cette approche est particulièrement en vogue dans le secteur de l’agroalimentaire. Les ingrédients peuvent être remplacés par d’autres moins qualitatifs et donc moins chers, sans que le consommateur ne perçoive de différence gustative.

La shrinkflation est une tactique marketing mise en place dans des périodes de forte inflation afin de préserver les marges des entreprises.


La dernière chose qu’une entreprise doit faire, c’est d’obliger un client à réfléchir à son acte d’achat.



Avantage de la shrinkflation

La shrinkflation a un énorme avantage pour les marques. Elle leur permet de garder le client.
Rappelez-vous en effet qu’il n’y a rien de plus difficile que de rendre un client fidèle, et rien de plus simple de casser ce cycle de fidélisation. La dernière chose qu’une entreprise doit faire, c’est d’obliger un client à réfléchir à son acte d’achat.

En maintenant le prix constant, la marque donne l’illusion que rien ne change pour le client. Le cycle de la fidélisation peut donc perdurer.

shrinkflation : chewing gum

Comment économiser 10% ? Simplement en réduisant la quantité de produit d’autant. Voici un exemple particulièrement édifiant (Reproduit avec l’autorisation de @nestapendragon)

Pourquoi le cycle de la fidélisation est-il difficile à créer ?

On estime généralement qu’il faut 7 achats pour que le cycle des achats récurrents s’active. En d’autres termes, ce n’est qu’après 7 achats du même produit que la décision d’acheter va être stockée dans le cerveau sous forme d’automatisme. La décision d’achat devient alors inconsciente au sens où le consommateur ne pèse plus le pour et le contre.

La rationalisation, une tendance lourde dans le retail

2022 a été l’année d’une révolution invisible dans le secteur de la distribution (retail). Celle de la recherche d’économies sur les coûts de structure.

La période du Covid avait fait des distributeurs les maîtres du jeu. Des comportements irrationnels avaient même pu être observés, mettant les supermarchés en position de force par rapport aux consommateurs. Les promotions avaient disparu et les marges avaient pu gonfler (un peu comme dans le secteur automobile). Mais tout cela est fini. Désormais il faut faire remonter la marge brute qui a été érodée par :

  • l’augmentation des coûts salariaux
  • les prix de l’énergie
  • les arbitrages des consommateurs envers des produits moins chers

Le distributeur belge Colruyt a ainsi vu sa marge fondre de 3,3% à 1,7%. De l’autre côté du spectre, les hard discounters profitent de cette crise. Le chiffre d’affaires de Lidl atteint 100 milliards d’Euros en 2022 et sa marge opérationnelle 6,8%.

Les distributeurs traditionnels sont donc sous pression pour économiser sur ce qui peut l’être, c’est-à-dire sur les coûts de structure. En la matière il n’y a pas 50 solutions et c’est à l’assortiment qu’ils s’attaquent. Les distributeurs simplifient leur offre et réduisent le nombre de références.


shrinkflation campbell soup

La fameuse soupe Campbell a été allégée. Sa recette ne comporte désormais plus que 3 tomates par boîte au lieu de 4 auparavant. L’eau a donc nécessairement remplacé la tomate manquante. Reproduit avec l’aimable autorisation de @iamgtsmith.


La variété est chère à gérer

Le marketing, notamment agroalimentaire, s’est développé ces 2 dernières décennies sur une proposition simpliste : la variété serait source de satisfaction pour les clients. Il faudrait offrir des produits les plus personnalisés possibles aux goûts des clients pour satisfaire les attentes à 100%. Ce faisant l’offre a elle aussi subi une inflation sans précédent. Un supermarché propose 20.000 références, un hypermarché 40.000.

Or, la variété coûte cher. Pour un distributeur, passer 10.000 commandes pour 10 unités coûtera toujours plus cher que 100 commandes pour 1000 unités chacune. La recette des hard discounters a donc été de réduire l’offre au maximum, avec les résultats qu’on leur connaît aujourd’hui.


Les industriels redécouvrent les vertus de la simplification

Chez les producteurs c’est la même chose. Simplifier les recettes, utiliser les mêmes ingrédients dans toutes les recettes, permet de faire des économies d’échelle.

Si les produits subissent une cure de simplification, les contenants font également l’objet de toutes les attentions. En particulier, le rapport entre le prix du contenant et le prix du contenu est un indicateur de la valeur perçue. Les produits pour lesquels le contenant est trop cher par rapport au contenu se voient éliminés. Certains contenants de petites tailles (notamment en verre) disparaissent purement et simplement des assortiments.


En conclusion

La période actuelle a ceci de positif qu’elle remet de l’ordre dans la stratégie marketing des distributeurs et des marques. Toute l’industrie agroalimentaire a oublié un adage simple : « trop de choix tue le choix ». Aujourd’hui il est temps de retourner aux fondamentaux et de se débarrasser d’une quantité de produits inutiles et coûteux à fabriquer. Cette rationalisation pourrait d’ailleurs déboucher sur des gains d’efficacité mais pas sûr que ces derniers soient partagés avec les consommateurs.



Publié dans Marketing, Stratégie.

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