Dans cet article vous lirez comment et pourquoi le marché de la viande végétale est passé d’un eldorado pour les entreprises de l’agroalimentaire, à un gouffre financier.

La viande végétale était une tendance de fond en 2022. Lors de ma visite au SIAL 2022, le salon mondial de l’alimentation, j’avais été ébahi par le nombre d’entreprises qui avaient investi ce créneau. La tendance semblait inarrêtable et même les géants de l’agroalimentaire s’engageaient dans un marché qui était estimé à 12 milliards d’euros par an. Mais depuis 2024, la situation a capoté du tout au tout. Cette innovation a échoué pour la raison n°1 que j’évoquais dans cette analyse.
Contactez-nous pour vos études sur le secteur de l’alimentation
Les chiffres qui faisaient espérer les producteurs de viande végétale
- 41% des consommateurs européens éprouvent de la culpabilité à consommer de la viande à cause de la souffrance animale
- La consommation mondiale de viande va doubler d’ici 2050
- 38% des consommateurs européens affirment réduire leur consommation de viande (sondage 2021). Ils s’identifient donc comme flexitariens.
- Seulement 6% des Européens s’identifient comme végétariens
- 7% des Européens ne mangent plus de viande mais encore du poisson
- 5% des Européens mangent vegan
- 25% des 400.000 produits exposés au SIAL sont sans protéines animales
Les signes d’un retournement du marché
Le marché de la viande végétale est dans la tourmente et je ne serais pas étonné si cela était son crépuscule. Le patron d’Unilever, Hein Schumacher, a été viré en Février 2025. Celui de Nestlé avait été remercié en Août 2024. Il est difficile de ne pas faire le rapprochement car Unilever et Nestlé avaient acquis 2 marques spécialisées dans la « fausse viande » : The Vegetarian Butcher pour Unilever et Garden Gourmet pour Nestlé. L’idée était de talonner les leaders du secteur Beyond Meat et Impossible Foods. Sauf que tout ne s’est pas passé comme prévu.
Les résultats ont été loin des attentes :
- Les ventes de Nestlé ont reculé
- La valorisation d’Impossible Foods a fortement chuté à cause de controverses autour de certains ingrédients
Quant au leader du secteur, Beyond Meat, il réduit ses activités et a annoncé licencier 6% de ses salariés. La faute à des résultats financiers qui sont loin d’être mirobolants :
- 160m$ de pertes en 2023
- 37,8m$ de pertes en 2024
Le consommateur place sa santé et son pouvoir d’achat au-dessus du besoin de réduire sa consommation de viande.
Pourquoi les consommateurs boudent-ils la viande végétale ?
Les substituts de viande sont des produits ultra-transformés. L’imitation visuelle et gustative se fait à grand renfort de processus industriels. De plus, certains ingrédients posent question. Le consommateur n’adhère donc pas. Il place sa « santé » au-dessus du besoin de réduire sa consommation de viande. Impossible Foods utilise par exemple de la léghémoglobine de soja, « obtenue par fermentation de levures génétiquement modifiées », pour donner le goût de viande.
Et à côté des ingrédients, il y a aussi la communication. Et de ce côté-là, on peut dire que les batailles juridiques s’enchaînent. Un nouveau clou vient d’être planté dans le cercueil de Beyond Meat qui n’a plus le droit d’utiliser le terme « viande » dans sa communication. Le jugement a été rendu à Paris le 27 février 2025.
Et pour finir, il y a le prix. L’ultra-transformation a un impact financier certain. Les produits de substitution à la viande sont parfois plus chers que leurs équivalents carnés. Pourquoi le consommateur Lambda irait-il donc acheter un produit de substitution ultra-transformés et plus cher que l’original ?
Le marché de la viande végétale, qui devait représenter 12 milliards d’euros en 2025 d’après les analystes, va au final peser quelques dizaines de millions. L’eldorado s’est transformé en gouffre financier.
En 2022 la viande végétale était encore incontournable
Une des images les plus fortes de ce SIAL 2022 restera pour moi la confrontation entre 2 mondes, représentée par la photo ci-dessous. D’un côté Heura, un des leaders des produits « plant-based » (substituts végétaux). De l’autre côté du couloir, Auvernou un producteur de saucisson. Le noir, le jaune. La modernité d’un côté, le classicisme de l’autre. Des visions marketing qui s’entrechoquaient frontalement.
Les contrastes étaient multiples et se retrouvaient à tous les niveaux. Dans les produits bien sûr mais également dans le marketing. On sentait un marketing terriblement traditionnel chez les industriels de la viande, incapables de sortir de codes décennaux. De l’autre côté, chez les entreprises du plant-based, on trouvait la plupart du temps un marketing décomplexé et plein d’énergie. Avec le recul, on sait maintenant que le marketing ne fait pas tout.
Viande végétale : les startups à l’assaut du marché
La tendance « plant-based » était très représentée par les startups et des « pure players » au SIAL 2022. Plusieurs dizaines d’entreprises relativement jeunes avaient investi le créneau. Le constat qui sous-tend leur création est simple :
- La consommation de viande allait doubler d’ici 2050
- Les surfaces agricoles disponibles sont insuffisantes pour soutenir une telle croissance
La Vie par exemple est une startup française créée en 2019 par Vincent Boulichet et Nicolas Schweitzer. Leur produit phare, du lard végétal, a été lancé en Octobre 2021. L’idée de ce produit est de proposer un substitut qui réponde aux attentes gustatives des consommateurs. Ce qui est en effet bon dans la viande c’est le gras. Or, il est absent des viandes végétales. Après 3 ans de R&D, un brevet a été déposé par La Vie pour un gras à base d’huile de tournesol (insaturée) et d’eau. Le lard végétal est fumé au bois de hêtre comme le lard normal mais contient 5 fois moins de gras. A la dégustation le résultant est bluffant. Ça a le goût du lard, l’aspect et la texture mais c’est gustativement beaucoup moins lourd.
Kokiriki était également très présent au SIAL 2022. Son Cowboy Burger à base de viande végétale s’affichait dès l’entrée du salon. A l’image de La Vie, cette startup adopte des codes marketing très reconnaissables :
- Identité de marque forte axée sur une couleur spécifique
- Image de marque très « fun » avec des visuels décalés
Heura, la startup espagnole, suit les mêmes tendances. J’ai goûté son burger épicé et là encore c’est bluffant. La viande végétale a vraiment la texture de la viande normale et avec les épices on a clairement un produit gourmand. J’ai été moins enthousiasmé par la viande de poulet végétale. La texture est moins convaincante et c’est là que ressort le caractère ultra-transformé du produit. Rappelons en effet que la viande végétale reste un produit ultra transformé.
D’un point de vue branding, Huera adopte une recette marketing similaire à ses concurrents : couleurs fortes, design moderne et une équipe résolument jeune aux manette
Les acteurs de l’agroalimentaire multipliaient les partenariats
Ce que nous avons constaté au SIAL 2022, c’est que même les industriels de la filière classique s’y mettaient. De Angelis par exemple avait conclu un partenariat avec Beyond Meat pour proposer des raviolis à la viande végétale. Ce produit n’étaitpas encore disponible en dehors de l’Italie.
Un autre exemple de diversification dans la viande végétale nous venait de Bulgarie. Bartlink International est une société de négoce en viande très classique. Elle suivait toutefois les tendances de consommation de très près. A côté de produits carnés comme ses « meat bars » (barres de viande séchée), elle avait également investi dans les substituts de viande. Sa responsable marketing m’avait expliqué que cet investissement leur semblait nécessaire car l’Union Européenne en a donné l’impulsion pour réduire l’empreinte CO2.
La viande végétale n’était donc pas l’apanage des startups. Elle était aussi reconnue comme une partie intégrante de la stratégie marketing des grands groupes.