2 novembre 2022 865 mots, 4 min. de lecture

Alimentation : le marketing en quête de « sans »

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Le SIAL est un rendez-vous incontournable pour tous les professionnels qui s’intéressent aux tendances en matière d’alimentation (voir notre reportage sur la méga-tendance de la viande végétale). En 2022 j’ai été particulièrement surpris de constater l’évolution du marketing alimentaire. L’inflation […]

Le SIAL est un rendez-vous incontournable pour tous les professionnels qui s’intéressent aux tendances en matière d’alimentation (voir notre reportage sur la méga-tendance de la viande végétale). En 2022 j’ai été particulièrement surpris de constater l’évolution du marketing alimentaire. L’inflation n’est plus seulement dans nos porte-monnaie mais concerne également les mentions sur les emballages. C’est bien simple, j’avais l’impression que les marketeurs s’étaient passé le mot pour faire fleurir les mentions « sans » : sans gluten, sans viande, sans poisson, sans lactose … La liste est longue.

Dans cet article je prends un peu de perspective par rapport à cette mode du « sans » et y apporte quelques nuances que j’espère salvatrices.

Statistiques : les consommateurs de plus en plus attentifs à ce qu’ils mangent

  • Seulement 38% des consommateurs affirment ne suivre aucun régime ou ne pas avoir de préférences alimentaires
  • 28% se déclarent flexitariens
  • 5% des consommateurs se déclarent Vegan
  • 5% des consommateurs privilégient les aliments sans lactose
  • Le régime sans gluten est suivi par 4% des consommateurs
  • 2% des consommateurs optent pour des produits sans fructose
  • Les aliments sans histamine sont favorisés par 2% des consommateurs

2018-2022 : le virage à 180 degrés du marketing alimentaire

Ce qui est paradoxal, c’est qu’on est passé en 4 ans d’un marketing qui revendiquait des propriétés, à un marketing qui revendique l’absence de certains ingrédients. En 2018, une tendance allait clairement dans ce sens, celle des super aliments. On conférait à des aliments normaux des propriétés particulières grâce à des « super ingrédients ». La valeur du produit se mesurait alors en fonction de l’ajout de molécules extérieures pour le rendre plus désirable.

marketing alimentation SIAL 2022

Un collage de différentes photos prises lors du SIAL 2022. Les mentions « sans » fleurissent sur les emballages dans toutes les langues.

Pâtes au gingembre et au curcuma (anti-cancéreux) chez Molino Spadoni, substitut de ketchup à la vitamine C chez Fruta, chocolats à l’Inca Inchi : tout était prétexte à l’ajout d’un petit extra pour améliorer la santé du consommateur.

En 2022, le dogme du « mettre plus » a volé en éclat. Désormais, il faut faire en « mettre moins » pour être en odeur de sainteté. Voici quelques-unes des mentions que nous avons relevées le plus souvent :

  • sans nitrites
  • sans gluten
  • sans huile de palme
  • sans huile de palme issue de la déforestation
  • sans OGM
  • sans antibiotiques
  • sans sucres
  • sans lactose
  • sans œuf
  • sans viande
  • sans sel

Les aliments en quête de pureté … relative

On pourrait penser que la multiplication des mentions « sans » sur les emballages alimentaires relève d’une volonté de retourner à des produits simples. Si ce raccourci peut fonctionner dans la tête des consommateurs, il n’est pas 100% exact.

Certains ingrédients sont effectivement mauvais pour la santé

Certains ingrédients ajoutés n’apportent en effet rien de bon. Les nitrites dans le jambon sont là uniquement pour lui donner une couleur rose. Mais les nitrites sont également cancérigènes probables ce qui leur vaut une vindicte populaire récente. Les industriels n’ont d’autre choix que de s’adapter.

C’est le cas également de la pâte à tartiner Nutella dont la dernière campagne publicitaire vante l’utilisation d’huile de palme non issue de la déforestation. C’est oublier que l’huile de palme a également des conséquences sur notre santé ce qui justifie la création de produits concurrents. Rigoni, avec sa Nocciolata, a déjà conquis 7,2% de parts de marché en France (contre 9,2% pour Nutella qui perd un peu de terrain).


Mais que dire des ingrédients supprimés pour de pures raisons marketing ?

Il en va différemment des mentions qui n’ont d’autres objectif que de coller à une tendance marketing. En ce qui concerne le gluten, seule 1% de la population est intolérante mais le « sans gluten » est devenu une mode.

Pour certains produits, notamment les fausses viandes et les faux poissons, les bénéfices sont tout relatifs. Comme je le rappelais dans cet article, l’élimination des protéines animales se fait au prix d’une ultra-transformation de la nourriture. Fausse viande, faux lard, faux poisson, sont des produits qui sont reconstitués en laboratoire afin de leur donner l’aspect et le goût de l’original. La vidéo ci-dessous vous donne un aperçu du processus pour fabriquer des steaks végétaux.


Quelques mots de conclusion

Il n’y a pas à tergiverser : plus un aliment est « simple », meilleur il est pour la santé. En d’autres termes, moins il est transformé, moins grands sont les risques pour celui qui le consomme. Cette recherche de « pureté » et de simplicité, couplée à la montée en puissance du flexitarisme (28% des consommateurs), explique sans doute la multiplication des mentions « sans » sur les emballages.

Désormais tout est suspect. Tout doit être éliminé, au risque d’aboutir à l’excès inverse : l’ultra-transformation nécessaire à l’élimination des protéines animales. Cette ultra-transformation est le prix à payer pour que le consommateur puisse garder ses référentiels. C’est un peu comme dans le film « The Matrix » quand Cypher veut garder l’illusion de manger un steak alors qu’il sait qu’il n’existe pas. A quand un produit qui se revendiquera « sans goût » ?


 



Publié dans Marketing.

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