Une étude de 2023 analyse les effets du renouvellement automatique des abonnements. Les clients qui les oublient contribuent à augmenter les revenus des vendeurs de 14% à plus de 200%.
Le business model de l’abonnement est devenu un standard dans de nombreux secteurs d’activités. Les abonnements font d’ailleurs l’objet de subtiles modifications pour accroître les revenus des vendeurs. Mais ce qui était moins connu, c’est l’effet des renouvellements automatiques d’abonnements. Une étude récente montre que les consommateurs « oublient » leurs abonnements, ce qui contribue à faire gonfler les revenus des vendeurs de 14% à plus de 200%. Amazon a d’ailleurs bien compris le potentiel du modèle par abonnement et utilise des techniques de nudging pour vous empêcher de résilier Amazon Prime.
Comment l’inattention des clients accroît les revenus tirés des abonnements
- L’inattention (ou plutôt l’oubli) augmente le revenu des vendeurs d’abonnements de 14% à plus de 200%.
- Si les consommateurs étaient parfaitement attentifs, la durée moyenne des abonnements serait divisée par 3 (4 mois au lieu d’un peu plus de 12 mois)
- La perte moyenne naturelle des clients abonnés est d’environ 2 points de pourcentage par mois
- Lors du renouvellement forcé d’une carte de crédit, le taux d’abonnement baisse de 20 points : il passe de 75% le mois précédant le renouvellement à 55% le mois suivant le renouvellement
- Les consommateurs qui ont le moins d’éducation financière sont presque 2 fois plus nombreux à se faire piéger par le renouvellement automatique des abonnements.
- 26 services par abonnement comptent plus de 500.000 abonnés mensuels aux Etats-Unis
- 32% des consommateurs américains déclarent souscrire à un abonnement parce qu’ils trouvent agréable de recevoir quelque chose chaque mois 🤔
Quel que soit le secteur d’activité, le modèle par abonnement s’impose petit à petit. Il dépasse aujourd’hui le domaine des services (salle de sport, transport, cinéma, services digitaux) pour s’imposer dans la grande consommation. Nous avions par exemple évoqué Nespresso pour lequel la livraison récurrente de café est un moyen de se protéger de la cannibalisation de son marché consécutive à l’expiration de ses brevets. Mais il suffit d’aller sur Amazon pour se rendre compte que de nombreux produits (alimentation, piles, consommables en tout genre) peuvent être achetés sous forme d’abonnement.
Les clients oublient leurs abonnements
Quand l’abonnement concerne un service, le consommateur est plus sujet à l’oubli car il n’y a pas de signe tangible de l’abonnement qui lui parvient chaque mois. L’étude de Einav, Klopack, et Mahoney s’attache donc à évaluer les effets de cet oubli sur le porte-monnaie du consommateur.
La méthode utilisée est particulièrement ingénieuse. Les 3 chercheurs utilisent le renouvellement des cartes bancaires (changement à la date d’expiration prévue ou changement anticipé suite à perte ou vol) pour détecter les changements dans les taux d’abonnements. En effet, le changement oblige l’abonné à réintroduire son numéro de carte bancaire/date d’expiration pour éviter le désabonnement automatique.
L’analyse est effectuée sur 10 services différents, totalisant chacun au moins 500.000 abonnés actifs mensuels aux États-Unis. Les effets du changement de carte sont visibles sur le graphique ci-dessus, la ligne en pointillé marquant le changement de la carte bancaire. On observe clairement une chute brutale du taux de rétention. Ce taux chute pour certains services de près de 30 points ; pour d’autres la baisse est plus mesurée mais atteint tout de même 15 points.
L’effet moyen sur la rétention est présenté sur le graphique ci-dessous. La première partie de la courbe est typique des services par abonnement avec une érosion d’1/4 des clients sur 1 année, soit environ 2 points de pourcentage par mois. Au moment du renouvellement de la carte, l’effet moyen est de 20 points de pourcentage (passage de 75% de rétention à 55%). L’érosion naturelle reprend ensuite son cours suivant un rythme qui est strictement similaire à celui de la première année.
Les revenus explosent grâce aux abonnements oubliés
L’étude s’attache également à projeter les revenus supplémentaires que représentent ces abonnements oubliés. Grâce à une simulation sur 100.000 consommateurs fictifs, les auteurs ont simulé les revenus sur une période de 10 ans après avoir éliminé la contrainte du renouvellement de la carte bancaire. Les résultats sont sans appel.
Sur les 10 abonnements étudiés, celui qui bénéficie le moins du renouvellement automatique augmente tout de même ses revenus de 14% de cette manière. A l’autre extrémité du spectre, le renouvellement automatique ajoute 200% de revenus à un autre service.
Comme vous l’aurez compris, le renouvellement tacite des abonnements est donc une manne financière pour tous les vendeurs. Qui refuserait ne serait-ce que 14% de chiffre d’affaires en plus ?
Le renouvellement tacite des abonnements est donc une manne financière pour tous les vendeurs.
Certains consommateurs plus vulnérables que d’autres
Un autre enseignement tout à fait étonnant concerne le profil des consommateurs qui souscrivent à un abonnement. Certains sont en fait beaucoup plus « vulnérables » que d’autres à l’oubli. Pour le prouver les auteurs utilisent là encore un moyen ingénieux.
Aux États-Unis il est possible de d’utiliser sa carte bancaire pour obtenir une avance en cash. Cela revient à emprunter de l’argent à un taux très élevé. Ceci correspond à 1,4% des clients dans le dataset. Les auteurs font de ces avances en cash un marqueur de la « sophistication financière » (autrement dit de l’éducation financière) des clients concernés. Les résultats montrent que ces clients sont significativement moins attentifs que le reste de la clientèle, ce qui les rend encore plus vulnérables aux effets des reconductions automatiques des abonnements.
Ceci est tout à fait paradoxal. Ces personnes sont les plus fragiles financièrement (elles doivent emprunter du cash sur la carte bancaire) et pourtant elles n’interrompent pas des abonnements dont elles n’ont apparemment plus besoin.
On pourrait imaginer un système dans lequel le client qui n’utilise pas le service pendant 30 jours d’affilée se voit rappeler qu’il paye pour un abonnement et qu’il peut le résilier en un clic.
Conclusion : que faire pour protéger le consommateur ?
Ces résultats nous incitent naturellement à nous interroger sur les mesures à prendre pour protéger le consommateur. Les abonnements présentent un avantage certain pour le consommateur : flexibilité et tranquillité. Toute la difficulté consiste donc à trouver un équilibre entre les avantages et une protection renforcée.
Demander au consommateur de renouveler volontairement son abonnement chaque mois n’est pas une option. La barrière serait trop importante. Cela reviendrait à faire expirer tous les abonnements au bout de chaque période. Le taux de « churn » serait trop important et absolument intolérable tant pour les entreprises que pour les consommateurs.
Un compromis pourrait être de conserver le mécanisme de reconduction tacite tout en avertissant le consommateur de manière proactive. On pourrait ainsi imaginer un système dans lequel le client qui n’utilise pas le service pendant 30 jours d’affilée se voit rappeler qu’il paye pour un abonnement et qu’il peut le résilier en un clic.
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