9 mai 2012 695 mots, 3 min. de lecture

Quel avenir pour le luxe (en Asie) ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Les médias spécialisés nous inondent de chiffres tous les plus fous les uns que les autres. Prada prévoit d’ouvrir 160 nouvelles boutiques en Asie pour soutenir sa croissance, PPR (Pinaud Printemps Redoute) prévoit l’ouverture de 100 nouveaux points de vente, […]

Les médias spécialisés nous inondent de chiffres tous les plus fous les uns que les autres. Prada prévoit d’ouvrir 160 nouvelles boutiques en Asie pour soutenir sa croissance, PPR (Pinaud Printemps Redoute) prévoit l’ouverture de 100 nouveaux points de vente, le groupe suédois H&M annonce se lancer dans le luxe pour contrer son rival Zara. « Last but no least » si l’avenir industriel de la France semble depuis longtemps joué (la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB est au plus bas en France à 9,8% alors qu’elle est le double en Allemagne), le salut semble ne venir que des secteurs du luxe (avec nos champions nationaux LVMH et Hermès), de l’aéronautique et de la défense.

 

On peut toutefois s’interroger sur l’avenir à moyen-terme de cette filière. Si pour l’instant l’Asie et les BRICS de manière générale apparaissent comme un eldorado, on note certains signes d’essoufflement qui ne sont sans doute pas étranger au ralentissement de la croissance en Chine. Nous sommes en effet loin des croissance à deux chiffres d’avant 2008. Pour prendre l’exemple de Swatch, la Chine représentait 39% du chiffre d’affaire mais l’augmentation de cette fraction du CA tend à ralentir. D’une croissance de 50% par an on est passé en 2011 à 15%. Pourtant Swatch a planifié l’ouverture de 100 nouvelles boutiques pour atteindre son objectif de 10 milliards de francs suisses de CA.

 

Ouvrir de nouveaux points de vente semble donc, un peu comme dans le secteur de l’HoReCa (CHR en France) où la localisation des points de vente est la clé du développement, un axe stratégique pour les marques de luxe. Toutefois, à l’opposé de l’HoReCa / CHR et de la consommation récurrente qu’il génère) le secteur du luxe table sur d’autres fréquences d’achat. La fidélisation y est toutefois tout aussi essentielle que dans d’autres secteurs. Dès lors je m’interroge sur la rentabilité à long-terme de ces points de vente. Ne risquent-ils d’ailleurs pas de dégrader la rentabilité d’autres points de vente ? En effet, 25% du CA de LVMH en France provenant de touristes étrangers on peut donc se demander si on ne va pas tout simplement assister à un déplacement des achats. L’Europe en pâtirait dès lors.

 

Mon avis :

Outre les interrogations soulevées ci-dessus il me semble opportun de rappeler ce que Bourdieu disait du luxe. Dès 1979 Bourdieu montrait qu’un des buts de la consommation était de se distinguer et de chercher l’identification dans l’éloignement avec la classe sociale inférieure. Toutefois, la consommation de masse ayant été rendue possible en Europe de l’Ouest depuis les années 1970, la consommation en elle-même n’a plus été un élément d’identification. Tout le monde étant devenu équipé s’est alors développé une approche par individu. Les classes n’étaient plus une représentation de notre place dans la société et les marques ont donc pris le relais et assumé ce rôle de différenciateur.

Dans la course à la consommation le crédit a permis aux classes plus modestes d’acheter leur part de rêve et de « se mettre à niveau ». Comme un élastique qui se tend et se détend le fossé entre individus ne se comble que pour mieux se creuser par la suite; cette course est sans fin car c’est ici que se situe la raison d’être du luxe. Vous n’achetez pas un produit LVMH pour votre propre plaisir mais uniquement pour le déplaisir des autres pourrait-on dire.

Dans ce contexte sociétal l’ouverture de nouveaux points de vente est une stratégie logique pour les marques de luxe. Toutefois j’oserais dire que les segments de la population visés devraient être non pas les plus riches mais bien les classes plus modestes en quête d’identification. Car ce sont bien ces classes moyennes qui font les beaux jours des marques de luxe.



Publié dans Stratégie.

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