Alors que la fréquentation des magasins « physiques » est en chute libre (-40% en 8 ans, en recul additionnel de 30% depuis 2022), on peut raisonnablement s’interroger quant à l’évolution des prochaines années. La crise du Covid a provoqué un vrai décrochage du commerce traditionnel et l’année 2022 s’annonce mal (inflation, guerre en Ukraine). Nos analyses permettent de dégager 3 tendances fortes qui vont déterminer l’évolution de la fréquentation ces prochaines années :
- digitalisation des achats alimentaires et percée du low-cost
- l’expérience client
- l’emplacement
Statistiques : la perte de vitesse du commerce physique
- -29,6% : la baisse de fréquentation des centres commerciaux entre 2013 et 2021
- -38,7% : la baisse de fréquentation des centres veilles entre 2013 et 2021
- -31,1% : la baisse de fréquentation des centres commerciaux en 2022 par rapport à 2021
- -28,5% : la baisse de fréquentation des centres villes en 2022 par rapport à 2021
Les statistiques de fréquentation des magasins physiques (en centre-ville et dans les centres commerciaux) montrent une érosion constante (voir graphique ci-dessous, 2013 servant de base 100). On voit nettement l’effet du Covid et le décrochage brutal en 2020 et 2021.
L’année 2022 est partie sur de très mauvaises bases (-31% pour les centres commerciaux, -28% pour les magasins en centre-ville). Nous pensons que 2 facteurs vont consolider cette tendance de désertification des points de vente.
Facteur 1 : inflation
L’accélération de l’inflation en Janvier, et la sortie de la période réconfortante de Noël, entraîne une dégradation du moral des ménages (voir ici les chiffres pour la France). Les achats importants sont remis et la volonté d’épargner augmente. Aux Etats-Unis on constate les mêmes tendances à travers le Sentiment Index de l’Université du Michigan. Les données de février, déjà disponible, montre une dégradation rapide du moral due à la situation géopolitique. Par rapport à Janvier la baisse du moral des ménages américains est de 6,5% et sur un an elle atteint 18,2%.
La situation géopolitique tendue, qui va renchérir les coûts de l’énergie et l’inflation, va continuer à peser sur le moral.
Facteur 2 : changements d’habitudes en matière de livraison alimentaire
A l’instar du télétravail, la digitalisation a connu une accélération sans précédent qui se matérialise notamment dans l’e-commerce. La livraison alimentaire est rapidement adoptée par les consommateurs européens.
Dans les statistiques sur la livraison alimentaire on lit en filigrane un changement profond d’habitudes :
- +140% des dépenses chez les agrégateurs (UberEats, Deliveroo)
- +175% des dépenses pour les paniers à domicile (notamment Hello Fresh dont nous avions déjà parlé ici)
- +35% pour les pure players de la livraison
- +13% pour la livraison via les grandes surfaces alimentaires
- +86% pour les quick commerçants (Gorillas, Kol, …) qui ont signé de très belles levées de fonds en 2021
Retail physique : à quoi s’attendre pour le futur ?
A la lumière des statistiques sur l’évolution de la fréquentation des commerces physiques, on peut raisonnablement s’interroger sur l’évolution des magasins « en dur ». Pour anticiper cette évolution, nous nous basons sur notre étude prospectives des tendances dans le retail.
Nous dégageons 3 sujets principaux qui vont être déterminants ces prochaines années en ce qui concerne la fréquentation des magasins physiques.
Les courses alimentaires : une commodité
Nos analyses permettent d’anticiper une « commoditisation » des courses alimentaires. Les solutions technologiques et l’uberisation de la force de travail, apportent des solutions à des coûts acceptables pour les consommateurs. La corvée des courses peut ainsi être éliminée.
La crise financière qui s’annonce sous la pression de l’inflation pourrait être un moteur de changement des habitudes. Ce dernier est supporté par les négociations tarifaires en cours et la répercussion des hausses de prix vers les clients.
Nous anticipons dès lors un report des achats alimentaires vers les distributeurs supermarchés low-cost au détriment des acteurs traditionnels. La consommation de produits biologiques, plus chers, va donc continuer à stagner voire diminuer comme en 2021, ce qui va peser sur les magasins de proximité spécialisés sur ce créneau.
L’expérience client comme support à la fréquentation
La fréquentation des magasins physiques va être tirée par l’expérience client. A l’instar des centres commerciaux, dont la fréquentation s’érode moins vite que celles des commerces en centre-ville, les consommateurs vont être motivés par une expérience unique.
La priorité sera donc donnée par les consommateurs aux commerces de destination. On observera dans le prochaines années une divergence très claire entre
- les commerces qui proposent une expérience et qui continueront d’être fréquentés. Cette expérience sera forcément en lien avec le positionnement du point de vente.
- les commerces qui tombent dans la catégorie des « commodities » et qui verront leur clientèle se déplacer de plus en plus vers l’online
La différenciation, la connexion entre le monde réel et le virtuel (phygitalisation), seront donc des sujets sur lesquels la survie des commerces physiques se jouera.
Les emplacements premium, plus importants que jamais
Dans la continuité des 2 premiers sujets, nous pensons que les emplacements premium vont voir leur valeur se renforcer ces prochaines années. Les vecteurs de trafic touristique en particulier seront les plus convoités, au détriment des zones d’affaires qui verront leur fréquentation et leur valeur décroître.
On constate d’ailleurs que sur les artères très touristiques, la vacance locative est significativement inférieure. A Paris par exemple, la vacance commerciale au 30 Juin 2021 était de 9,7% sur les Champs-Elysées, 5,4% avenue Montaigne. Elle atteignait par contre près de 15% rue de Rivoli et 20% boulevard Saint-Michel.
Les commerces de luxe, regroupés sur certaines artères, continueront d’être des points de convergence des touristes et contribueront de fait à la fréquentation des magasins environnants.
Publié dans Stratégie.