31 juillet 2020 1122 mots, 5 min. de lecture Dernière mise à jour : 3 août 2020

Affaire Arash Derambarsh : cette imposture en cache d’autres

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Arash Derambarsh a explosé en plein vol. Avocat, homme politique, il avait reçu ce qu’il appelait modestement sur son blog le « Nobel du développement durable » (le prix Win Win), et vient de se voir retirer son titre de docteur en […]

Arash Derambarsh a explosé en plein vol. Avocat, homme politique, il avait reçu ce qu’il appelait modestement sur son blog le « Nobel du développement durable » (le prix Win Win), et vient de se voir retirer son titre de docteur en droit. Sa thèse de doctorat était un plagiat à 92%.

La thèse bidon a été l’élément révélateur de l’imposture. Mais pour un imposteur démasqué, des centaines d’autres restent tapis dans l’ombre, bien à l’abri. Analysons l’affaire Arash Derambarsh et ce qu’elle nous apprend de nos processus de sélection et d’avancement en général.

Un collectif anonyme fait éclater la supercherie au grand jour

Avocat au barreau de Paris, docteur en droit, adjoint du maire de Courbevoie (France), Arash Derambarsh semblait être un exemple de méritocratie à la française. Il avait gravi tous les échelons et, malgré des échecs, avait décroché un titre de docteur en droit grâce à une thèse de doctorat intitulée : « Fichiers de police, un encadrement légal et sociétal dans un environnement controversé ». Soutenue en 2015, cette thèse n’avait pas été rendue publique et était sous « embargo » pendant … 32 ans. Cela signifie que la thèse n’était pas consultable pendant une période anormalement longue (généralement on peut demander un embargo pour 5 ans). Cette thèse se révélera n’être en fait qu’un amas de copiés-collés. Dénoncé par un collectif réuni sous le pseudo « Thèse et synthèse » mystérieusement apparu en Février 2020 sur Twitter, les soupçons de plagiat éclatent alors au grand jour. Ce compte anonyme a disséqué le « travail » d’Arash Derambarsh et a conclu que le taux de plagiat était de 92% (hors biblio).

Le document de synthèse qui a été rendu public est accablant, surtout pour l’ex-docteur, puisqu’au milieu des copié-collés de rapports de l’assemblée nationale, de la commission européenne, on relève aussi des passages pompés du Que Sais-Je n°3856 (couverture ci-contre) ainsi que de wikipédia. C’est affligeant pour celui qui avait pensé échapper au contrôle en obtenant un embargo de 32 ans sur sa thèse. Du jamais vu. C’est aussi embarrassant pour L’Université Sorbonne Paris I qui a failli en validant le travail alors qu’elle disposait depuis 2012 d’un logiciel anti-plagiat.

La fausse thèse de doctorat a été l’élément révélateur de la supercherie

Dans cette affaire, l’imposteur a pu être démasqué par le biais d’un travail (sa thèse) qu’il avait produit pour obtenir le plus haut titre universitaire, celui de Docteur. Les garde-fous sont pourtant nombreux pour éviter pareille déconvenue :

  • un jury de thèse indépendant et spécialisé d’une part
  • la publication dans des journaux à comité de lecture d’autre part (pour les thèses à articles)

L’utilisation d’un logiciel anti-plagiat ne devrait donc être qu’une formalité si les deux premiers filtres fonctionnent correctement (notons d’ailleurs que la tenue du jury se fait après vérification du plagiat). La révélation du plagiat a posteriori (5 ans après la soutenance) jette donc le discrédit sur le jury dont l’indépendance et la spécialisation sont à cette occasion remis en cause.

Mais pour une imposture révélée, combien d’autres sont passées inaperçues.

L’imposture, un fléau qui dépasse le cadre universitaire

Le monde de l’entreprise est aussi plein d’imposteurs qui surfont leurs expériences, leurs réalisations, leurs diplômes. Vérifier leurs fantasmes oblige à la mise en place de dispositifs de contrôle. Ces dispositifs peuvent être objectifs et factuels, ou complètement biaisés (un comité de sélection par exemple). Sans des garde-fous forts et inflexibles, les entreprises prennent le risque d’accueillir en leur sein des imposteurs qui ne se révéleront comme tels qu’après avoir semé le chaos.

Dans son livre sur l’administration Trump, John Bolton décrit comment la Corée du Nord a pu se mettre dans la poche Donald Trump grâce à ses lettres d’amitié (« love letters »). Au sujet d’une de ces lettres, Bolton écrit :

C’était comme si cette lettre avait été écrite par des Pavloviens qui savaient exactement comment toucher les connexions nerveuses renforçant l’estime de soi de Trump

(texte original : « it was as if the letter had been written by Pavlovians who knew exactly how to touch the nerves enhancing Trump’s self-esteem »).

Les imposteurs ont, à l’image de l’anecdote rapportée par Bolton, cette qualité de bien manier le verbe, de faire illusion grâce à des mots rares et choisis. Flagorneurs aguerris, ils savent comment faire vibrer la corde sensible de ceux qui, sous leurs charmes, en oublient les garde-fous traditionnels. Adeptes des buzzwords (« l’économie circulaire » ou le « développement durable » pour Arash Derambarsh, « la data » ou « l’agilité » pour d’autres imposteurs en entreprise), ils construisent des phrases vides de sens qui sont autant d’écrans de fumée devant leur incompétence. Lorsque la fumée se dissipe, l’imposture apparaît. Mais il est trop tard.

Remèdes à l’imposture : contrôles et tests à tous les étages

L’affaire Arash Derambarsh nous apprend que dans sa quête de reconnaissance à tout prix, un individu s’est fait prendre à tricher. Tricherie grossière découverte car un document avait été produit qui était un faux. La thèse aura donc été l’élément révélateur de la supercherie. Pas de document, pas de sanctions.

Je plaide donc pour que tout processus de sélection ou d’avancement laisse des traces écrites qui puisse être vérifiées. La menace d’une sanction ultérieure en fera réfléchir quelques uns qui aujourd’hui s’en tirent trop bien, y compris ceux qui seraient prompts à accorder leur blanc-seing à un imposteur en puissance. Des dispositifs existent déjà pour vérifier les diplômes (CV trust par exemple) mais quid des réalisations professionnelles ? La plupart du temps le déclaratif l’emporte et le futur employeur se contentera au mieux de prendre quelques références (prévenues à l’avance). Je vous laisse juger des « recommandations » bidons dont regorge Linkedin pour vous faire une idée du phénomène.

La solution ? Une recommandation écrite qui engage celui qui la rédige. Oserais-je me risquer à produire une recommandation surfaite si je sais que cela pourrait se retourner contre moi ? L’imposteur a besoin de « complices » pour que la supercherie prenne forme. Le priver de complices c’est le priver de la capacité de nuire.

 



Publié dans Recherche.

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