Shadow IA : quand l’intelligence artificielle échappe au contrôle des entreprises

Shadow IA : quand l’intelligence artificielle échappe au contrôle des entreprises

Le terme « Shadow IA » désigne l’utilisation de ChatGPT ou d’autres IA génératives dans un contexte professionnel sans approbation préalable de sa hiérarchie. En 2023, 30% des salariés étaient dans cette situation. Cette réalité touche désormais 68% des entreprises françaises selon une récente étude. Ceci n’est pas sans poser des problèmes de sécurité. En utilisant ce type d’outils, les salariés transmettent involontairement à des tiers des données potentiellement sensibles.

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L’essentiel à retenir en 30 secondes

  • Le Shadow IA désigne l’utilisation non autorisée d’outils d’intelligence artificielle par les employés
  • 68% des salariés français utilisent des solutions IA sans en informer leur direction et sans approbation préalable
  • Les risques incluent les fuites de données, la non-conformité RGPD et l’exposition aux cybermenaces
  • 71 % des Français connaissent les IA génératives comme ChatGPT d’OpenAI et Bing de Microsoft.
  • 44 % des répondants utilisent ces IA à la fois dans un cadre personnel et professionnel.
  • 50% des entreprises américaines déclarent mettre à jour leur règlement interne pour encadrer l’utilisation de ChatGPT et mettre fin au Shadow GPT
  • 70 % des personnes interrogées dans une autre étude de Microsoft déclarent qu’elles délégueraient volontiers leurs tâches répétitives à l’IA.
  • 45 % des jeunes de 18 à 24 ans déclarent utiliser les IA, contre seulement 18 % des personnes de plus de 35 ans.
  • 72 % des Français estiment ne pas avoir les connaissances suffisantes pour utiliser les IA génératives.

Qu’est-ce que le Shadow IA exactement ?

Le Shadow IA, ou IA fantôme, représente l’évolution naturelle du Shadow IT que nous connaissons déjà. Concrètement, il s’agit de l’utilisation d’outils et d’applications d’intelligence artificielle par les collaborateurs sans l’approbation ni la supervision des services informatiques de l’entreprise.

Cette pratique prend diverses formes dans nos organisations. Un commercial qui utilise ChatGPT pour rédiger ses propositions commerciales, un responsable RH qui fait appel à un générateur de texte pour créer des offres d’emploi, ou encore un analyste qui emploie des modèles de machine learning non validés pour traiter des données sensibles. Tous ces exemples illustrent parfaitement ce phénomène grandissant.

La différence fondamentale avec l’IA légitime réside dans l’autorisation et le contrôle. Tandis que les solutions officielles s’intègrent dans les politiques de sécurité et de conformité de l’entreprise, le Shadow IA échappe totalement à cette supervision. Cette absence de cadre expose l’organisation à des risques considérables, particulièrement en matière de protection des données et de conformité réglementaire.

D’ailleurs, les statistiques parlent d’elles-mêmes : selon une étude INRIA-Datacraft de 2024, près de 7 salariés sur 10 en France utilisent des outils d’IA générative dans leur cadre professionnel sans en informer leur hiérarchie. Un chiffre qui illustre l’ampleur du défi à relever pour les entreprises.

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Les risques cachés derrière cette utilisation sauvage

Le Shadow IA expose les entreprises à une multitude de dangers qu’il convient de prendre au sérieux. Premier risque majeur : l’exposition aux cybermenaces. Les modèles d’IA générative comme GPT ou DALL-E peuvent être vulnérables aux attaques par empoisonnement de données ou aux injections de prompts malveillants. Les cybercriminels exploitent ces failles pour manipuler les résultats et compromettre la sécurité des systèmes.

Ensuite, il y a les fuites de données. Lorsque les collaborateurs transmettent des informations sensibles via des plateformes non sécurisées pour entraîner ou interroger des modèles IA, ils exposent potentiellement des données confidentielles. Nous avons déjà évoqué les risques de ChatGPT. Mais Statoil s’était fait avoir dès 2017 avec l’utilisation de Deepl (qui utilise vos données pour entraîner ses algorithmes, voir ci-dessous), et en 2023 c’est Samsung qui a été pris au piège de ChatGPT. Ses employés ont utilisé ChatGPT à 3 reprises et ont transmis de fait à OpenAI des données strictement confidentielles. Ces dernières concernent notamment le code source de ses puces électroniques.

Le troisième écueil concerne la réplication des biais. L’IA générative peut involontairement renforcer des préjugés existants si ses données d’entraînement sont biaisées. Cette problématique devient particulièrement critique dans des secteurs sensibles comme la finance, les ressources humaines ou la justice, où les décisions automatisées peuvent avoir des conséquences importantes sur les individus. Là encore, rien de neuf puisque ces questions de biais d’entraînement sont au cœur des préoccupations des développeurs d’algorithmes de recommandation.

Enfin, la non-conformité réglementaire représente un risque financier considérable. L’utilisation non contrôlée d’outils IA peut entraîner des violations du RGPD ou d’autres normes de protection des données. Les amendes peuvent atteindre 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise. Autant dire que l’addition peut être salée !

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Comment transformer ce défi en opportunité ?

Plutôt que de jouer les gendarmes, les entreprises ont tout intérêt à adopter une approche constructive pour encadrer le Shadow IA. La première étape consiste à définir des cadres de gouvernance clairs. Il s’agit de mettre en place une charte éthique pour guider l’utilisation de l’IA et d’intégrer des responsables dédiés, comme des Chief AI Officers (CAIO), qui surveillent la conformité aux réglementations.

La sécurité des données doit également être renforcée. Les DSI et RSSI doivent s’assurer que les plateformes utilisées respectent les standards les plus stricts en matière de chiffrement et de stockage des données. L’idéal ? Privilégier les solutions sur cloud hybride ou local et mettre à disposition des plateformes d’IA sécurisées pour automatiser les tâches courantes.

La formation des équipes représente un investissement crucial. Une compréhension approfondie des technologies d’IA et de leurs risques permet d’éviter les mauvaises configurations ou l’exposition accidentelle de données sensibles. Les collaborateurs doivent comprendre les enjeux pour devenir des acteurs responsables de cette transformation.

Enfin, l’audit et l’évaluation régulière des systèmes s’imposent. Des contrôles de sécurité périodiques permettent d’identifier et de corriger les vulnérabilités potentielles, tout en s’adaptant aux menaces émergentes. Cette démarche proactive évite bien des désagréments.

Malgré les perspectives positives, les risques ont conduit certaines sociétés à bannir l’utilisation de ChatGPT. A commencer par Samsung qui va mettre un outil interne à disposition, mais également JPMorgan Chase, Amazon, Verizon et Accenture. Le point commun de toutes ces entreprises est qu’elles travaillent avec une grande quantité de données propriétaires dont elles tirent un avantage concurrentiel. L’utilisation de ChatGPT, et de manière générale de tous les outils algorithmiques proposant une version gratuite, est le transfert des données de l’utilisateur à des fins d’entraînement. Si l’échange de bons procédés est compréhensible (un service gratuit contre des données), peu d’utilisateurs sont conscients de ce transfert. Dans le cas de ChatGPT, l’absence de consentement a même conduit le gouvernement italien à bannir ChatGPT du territoire. Cette décision a été violente, soudaine, mais a eu le mérite de mettre en lumière toutes les failles d’OpenAI.

 

 


Statistiques et exemples concrets du Shadow IA

Pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, examinons quelques données révélatrices. Selon l’étude INRIA-Datacraft, 68% des salariés français utilisent des outils d’IA sans en informer leur direction. Cette proportion grimpe même à 75% chez les cadres et atteint 82% dans le secteur technologique.

Les usages les plus fréquents incluent la rédaction de contenus (45% des cas), l’analyse de données (32%), la traduction automatique (28%) et la génération d’images (18%). Ces chiffres montrent que le Shadow IA touche tous les métiers et toutes les fonctions de l’entreprise.

Côté risques, les incidents ne manquent pas. En 2024, plusieurs entreprises ont signalé des fuites de données liées à l’utilisation non contrôlée d’outils IA. Un cas notable concerne une société de conseil qui a vu des informations clients confidentielles exposées après qu’un consultant ait utilisé un chatbot public pour analyser des documents sensibles.

Dans le secteur bancaire, une institution financière a découvert que ses analystes utilisaient des modèles de machine learning non validés pour évaluer les risques de crédit, exposant l’établissement à des décisions potentiellement biaisées et à des sanctions réglementaires.

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Les bonnes pratiques pour maîtriser le Shadow IA

Face à ces défis, plusieurs stratégies s’avèrent efficaces. D’abord, adopter une approche de « bac à sable » (sandbox) permet aux collaborateurs d’expérimenter avec des outils IA dans un environnement sécurisé et contrôlé. Cette méthode satisfait leur besoin d’innovation tout en préservant la sécurité de l’entreprise.

La mise en place d’un catalogue d’outils IA approuvés constitue également une excellente pratique. En proposant des alternatives sécurisées aux solutions publiques, l’entreprise canalise les usages vers des plateformes maîtrisées. Cette démarche s’accompagne naturellement d’une politique d’usage claire, définissant ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas.

L’implication des métiers dans la gouvernance IA s’avère cruciale. Plutôt que d’imposer des règles top-down, il vaut mieux co-construire les politiques avec les utilisateurs finaux. Cette approche collaborative favorise l’adhésion et la compréhension des enjeux.

Enfin, la sensibilisation continue des équipes fait la différence. Organiser des sessions de formation régulières, partager les retours d’expérience et communiquer sur les bonnes pratiques permet de créer une culture de la sécurité IA au sein de l’organisation.

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L’avenir du Shadow IA : vers une coexistence maîtrisée

Le Shadow IA n’est pas une mode passagère mais bien une réalité durable de notre environnement professionnel. L’enjeu pour les entreprises consiste donc à transformer cette contrainte en opportunité d’innovation contrôlée.

Les organisations les plus avancées développent déjà des stratégies d’IA hybride, combinant solutions officielles et expérimentations encadrées. Cette approche permet de bénéficier de l’agilité du Shadow IA tout en maintenant un niveau de sécurité acceptable.

Les organisations qui s’emparent de l’IA générative ont également compris qu’il fallait combler le fossé générationnel. L’adoption des IA dépend en effet de l’âge : en 2024, 45 % des 18-24 ans les utilisaient contre seulement 18 % des plus de 35 ans. On ne s’étonnera que modérément du fait que 72 % des Français estiment ne pas avoir suffisamment de connaissances pour utiliser ces technologies.

Ce fossé doit absolument faire prendre conscience AUX entreprises que les risques ne sont pas distribués également parmi tous leurs collaborateurs. Certains sont plus « à risque » que d’autres, et des efforts de sensibilisation devront donc être faits de manière différenciée en fonction de la cible.

L’évolution réglementaire, notamment avec l’AI Act européen, va également structurer ce domaine. Les entreprises qui anticipent ces changements prennent une longueur d’avance sur leurs concurrents.

Au final, la maîtrise du Shadow IA nécessite un équilibre délicat entre innovation et sécurité, entre liberté d’expérimentation et contrôle des risques. Les entreprises qui réussiront cette transition seront celles qui sauront faire de leurs collaborateurs des partenaires responsables de cette transformation numérique.

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Questions fréquentes sur le Shadow IA

Comment détecter le Shadow IA dans mon entreprise ?

Plusieurs signaux peuvent vous alerter. Surveillez les facturations inhabituelles sur les cartes d’entreprise, analysez le trafic réseau vers des plateformes IA publiques, et surtout, menez des enquêtes internes anonymes. Souvent, un simple sondage révèle l’ampleur des usages cachés. N’hésitez pas à créer un climat de confiance pour que vos collaborateurs se confient sans crainte de sanctions.

Dois-je interdire complètement l’utilisation d’outils IA externes ?

L’interdiction pure et simple risque d’être contre-productive. Vos équipes continueront probablement à utiliser ces outils, mais de manière encore plus discrète. Mieux vaut adopter une approche progressive : commencez par identifier les usages, évaluez les risques, puis proposez des alternatives sécurisées. L’objectif est d’accompagner, pas de punir.

Quelles sont les sanctions en cas de non-conformité RGPD liée au Shadow IA ?

Les amendes peuvent être particulièrement lourdes ! Le RGPD prévoit des sanctions pouvant atteindre 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires annuel mondial. Mais au-delà de l’aspect financier, pensez aussi aux dommages réputationnels. Une fuite de données clients due au Shadow IA peut durablement affecter la confiance de vos partenaires et clients.

Comment former mes équipes aux risques du Shadow IA ?

La formation doit être concrète et interactive. Organisez des ateliers pratiques montrant les risques réels, partagez des cas d’usage sécurisés, et créez des guides simples. L’idée est de faire comprendre que la sécurité IA n’est pas un frein mais un accélérateur d’innovation responsable. Pensez aussi à former vos managers pour qu’ils deviennent des relais efficaces. La part d’expérimentation est essentielle pour en comprendre l’utilité et, comme l’expliquait Ethan Mollick, chercheur au MIT, il faut au moins 4 heures de travail sur ces outils pour commencer à le comprendre.

Existe-t-il des outils pour surveiller l’utilisation d’IA dans l’entreprise ?

Absolument ! Plusieurs solutions émergent sur le marché. Vous pouvez utiliser des outils de monitoring réseau pour détecter les connexions vers des plateformes IA, des solutions de DLP (Data Loss Prevention) adaptées à l’IA, ou encore des plateformes de gouvernance IA spécialisées. L’important est de choisir des outils qui respectent la vie privée de vos collaborateurs tout en assurant la sécurité de l’entreprise.

 

 

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