25 janvier 2023 1434 mots, 6 min. de lecture Dernière mise à jour : 31 janvier 2023

M&M’s et wokisme : analyse de la disparition des mascottes

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
M&M vient d’annoncer qu’elle retirait pour un temps indéterminé ses fameux personnages. Accusée de wokisme par la droite conservatrice américaine (Fox News), c’est une partie importante du « storytelling » de M&M’s qui disparaît. Ces petits personnages qui avaient fait le succès […]

M&M vient d’annoncer qu’elle retirait pour un temps indéterminé ses fameux personnages. Accusée de wokisme par la droite conservatrice américaine (Fox News), c’est une partie importante du « storytelling » de M&M’s qui disparaît. Ces petits personnages qui avaient fait le succès de la marque et l’avaient humanisée font désormais partie du passé. Dans cet article, je reviens brièvement sur cette affaire et vous livre mon analyse. C’est l’occasion pour moi d’aborder le sujet plus global de la polarisation et des risques encourus par les marques dans une société toujours plus fragmentée.


M&M’s et wokisme : retour sur l’affaire du M&M violet

Le 23 janvier 2023, M&M’s a annoncé dans un tweet (ci-dessous) renoncer à utiliser un de ses personnages ultra célèbres en forme de bonbons chocolatés. La faute au M&M’s violet, apparu en 2022, censé symboliser la communauté LGBTQ+.

Cette arrivée a suscité l’ire des courants conservateurs et notamment de Fox News. Les attaques de son présentateur vedette Tucker Carlson ont contraint M&M’s à faire marche arrière et à suspendre l’utilisation de ses petits personnages accusés de wokisme.

Cette affaire montre que les marques risquent gros lorsqu’elles s’aventurent sur des terrains trop « connotés ». Mais pourquoi M&M’s a-t-il cru bon de devoir créer un personnage (« Purple ») pour symboliser la communauté LGBTQ+ ?

M&M wokisme


Pink washing, un élément de branding

En 2017 une étude réalisée aux Etats-Unis montrait déjà que 64% des consommateurs proches des valeurs LGBT déclaraient vouloir privilégier des marques adoptant le même positionnement marketing. Les marques cherchant par définition à conquérir le plus de parts de marché, le « pink washing » était inéluctable.

Google LGBT Logo

En 2018, Google avait brièvement orné son logo des couleurs du drapeau LGBT.

Juste pour contextualiser cette tendance, voici l’évolution des recherches pour « LGBT » depuis 2004 dans Google. Il ne faut pas être statisticien pour comprendre que la tendance est ascendante.

Google Trends keyword "LGBT"
Sous l’effet combiné de la bien-bien-pensance et du wokisme, les marques se devaient donc de montrer « patte blanche » et d’afficher des valeurs compatibles avec cette tendance. On ne compte plus les campagnes de publicité qui incluent des éléments visuels ou narratifs LGBT-compatible.

Certaines marques comme Google et Gap affichent leur soutien à la cause en changeant de manière temporaire leur logo. D’autres, comme Revolut, y vont de leur édition limitée d’un produit de leur gamme. D’autres encore incluent dans leur narratif des éléments qui les rapprochent de la communauté LGBT.

revolut card LGBT limited edition

Revolut a produit une carte bancaire en édition limite aux couleurs LGBT.

Les degrés d’implication sont divers. Il y a des marques militantes, d’autres qui affichent un soutien plus prudent. Faire l’impasse sur la communication n’est toutefois plus une option. On retrouve dans ce top 10 des pubs LGBT un éventail des différentes possibilités créatives. Ce qui est sûr, c’est que la communauté LBGTQ+ attend des prises de positions qui aillent au-delà du changement de logo. Le soutien timoré n’est plus perçu comme suffisant et, les années passant, les attentes se font plus grandes. Désormais c’est un militantisme actif ou permanent qui est attendu pour s’attirer les faveurs de ce public qui dépense en moyenne 7% de plus qu’un consommateur lambda.

Les problèmes sont susceptibles d’apparaître quand le soutien devient permanent, c’est-à-dire quand l’élément de soutien à la communauté LGBT devient une partie intégrante de l’identité de marque. C’est sans doute ce qui s’est passé avec M&M’s.


Les marques se font le porte-voix de la société civile dans la défense des droits individuels.


Analyse de l’affaire M&M’s

La question reste de savoir pourquoi des éléments visuels aussi anodins que les personnages M&M’s ont pu alimenter un tel débat outre-Atlantique. Je pense que la réponse doit d’abord être cherchée dans le symbole que représentent ces petits personnages. Ils font partie de la culture américaine et sont des symboles. Rappelez-vous qu’ils s’affichent par exemple fièrement sur Time Square. Ils sont un élément de la culture populaire au même titre que Ronald McDonald. Imaginez le tollé si McDonald’s décidait que Ronald soit gay …

marketing mix place M&M's new york flagshipe store

Les personnages M&M’s s’affichent en grand sur Time Square à New-York. Credits : sriram bala via Flickr

En étendant la famille des personnages M&M’s pour représenter toutes les « couleurs » de la société, elle se fait indirectement l’avocate du wokisme. Or ce dernier est clairement perçu comme une menace par les conservateurs qui y voient une attaque contre les fondements mêmes de la société américaine. C’est donc naturellement que la droite la plus virulente (Tucker Carlson) s’y est attaquée.

Au final, pourquoi le groupe Mars Wrigley (propriétaire de la marque M&M’s) a-t-il cédé ? Simplement pour des raisons de calculs financiers. Il vaut mieux se priver du soutien de la communauté LGBTQ+ que de celle des conservateurs américains, bien plus nombreux. Les valeurs sont donc sacrifiées sur l’autel des bénéfices.

Dans un contexte de polarisation grandissant, ceci annonce également un tournant pour le branding. Gérer une marque devient un exercice d’équilibriste. Chaque prise de position devient un risque. On risque dès lors d’aboutir à des ADN’s de marques  beaucoup plus insipides, loin des extrêmes de Benetton au XXème siècle sous l’ère d’Olivieiro Toscani (et loin d’autres extrêmes dont je m’étais fait l’écho ici).

Gap Logo LGBT

Au Japon ce magasin GAP a affiché les couleurs LGBT sur son logo.


La polarisation des opinions s’invite dans le branding

A force de vouloir plaire à tout prix et à tout le monde, on s’attire forcément des inimitiés. C’est exactement ce qui est arrivé à M&M’s dans un contexte de polarisation de l’opinion. Dans un pays, les Etats-Unis, où la liberté d’expression est érigée en totem (premier amendement de la constitution), les réseaux sociaux ont contribué à une libération de la parole et à l’expression d’opinions extrêmes. Cette polarisation se traduit par de violentes diatribes qui n’épargnent plus les médias officiels en recherche de sensationnalisme. Fox News, à l’origine de l’affaire M&M’s, fait partie de ces médias qui propagent des idées extrêmes.

Le mouvement LGBTQ+, et tout ce qu’il représente aux yeux des conservateurs, cristallise cette polarisation. A tel point que 200 marques ont dû signer un pamphlet pour s’opposer à des lois anti-LGBTQ+ au Texas. Les marques se font donc le porte-voix de la société civile dans la défense des droits individuels. C’est tout à fait symptomatique du rôle que les marques souhaitent jouer. Le branding n’est plus une simple affaire technique qui se limiterait à des éléments de positionnement marketing. Il y a désormais un positionnement sociétal et donc une prise de risque. Or quand il y a prise de risque, il y a potentiellement des problèmes.


Les réactions polarisantes peuvent également être bénéfiques aux marques

Une étude de 2019 a exploré l’univers de marques qui font l’objet de polarisation. Basée sur une méthodologie qualitative (entretiens individuels), l’étude conclut que :

« Les marques polarisantes ont tendance à être elles-mêmes des marques fortes. Les marques polarisantes jouissent d’un niveau élevé de notoriété et de reconnaissance et ont des associations de marques claires et bien établies. »

Ces marques fortes ne suscitent pas l’indifférence, nous disent les auteurs. « Les marques polarisantes ont la capacité d’évoquer de fortes émotions, des niveaux élevés de passion et un fort engagement positif et négatif des clients, ce qui accroît encore leur popularité et leur force. ». Nous sommes exactement dans ce cas de figure avec M&M’s.

Si la polarisation et les réactions virulentes peuvent a priori faire peur, il faut toutefois se souvenir que gagner l’attention (des médias, des consommateurs) est une conséquence bénéfique du buzz, qu’il soit positif ou négatif. Sans suggérer que les marques doivent entretenir l’anathème, il faut donc rappeler qu’à court-terme les retombées peuvent être positives. Non seulement la notoriété de la marque augmente mais en plus une certaine communauté de consommateurs supporters peut se manifester dont l’effet positif peut être important.

 



Publié dans Marketing.

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