8 novembre 2021 1922 mots, 8 min. de lecture Dernière mise à jour : 15 mars 2022

Levées de fonds en Europe : seulement 8,1% de femmes !

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Dans notre dernière étude sur les levées de fonds des entreprises européennes en 2020-2021, nous avons mis en exergue la totale sous-représentation des femmes. Elles représentent à peine 8% des fondateurs de ces entreprises. Dans l’étude d’aujourd’hui nous approfondissons le […]

Dans notre dernière étude sur les levées de fonds des entreprises européennes en 2020-2021, nous avons mis en exergue la totale sous-représentation des femmes. Elles représentent à peine 8% des fondateurs de ces entreprises. Dans l’étude d’aujourd’hui nous approfondissons le sujet pour comprendre dans quels pays les femmes sont les mieux représentées et quelles sont celles qui ont levé le plus d’argent pour leur startup / scale-up en 2020-2021.

Sommaire




8,1% de femmes dans les entreprises qui ont levé des fonds

La première chose à faire est de visualiser clairement ce que représente les femmes parmi les fondatreurs des entreprises dans notre étude. Sur les 1374 fondateurs dans les 841 entreprises de cette étude, seulement 111 étaient des femmes. Cela représente à peine 8,08%.

représentation visuelle du nombre de femmes parmi les fondatuers d'entreprises ayant levé des fonds en 2020-2021 en Europe


Les entreprises (co)fondées par des femmes ont représenté 7,96% des montants levés

Dans l’étude américaine publiée dans la Harvard Business Review, les femmes n’avaient bénéficié que de 2,3% des fonds alloués par les VC. Notre étude centrée sur l’Europe établit la part de financement à 7,96%.

Ce chiffre est proche de celui de la représentation des femmes dans les entreprises étudiées. Cela tend donc à montrer qu’il n’y a pas de discrimination par rapport aux montants concédés.

Bibi Blomqvist« J’ai presque eu l’impression que c’était à notre avantage que je sois une femme »

Bibi Blomqvist est la co-fondatrice de Cogo, une startup spécialisée dans la mobilité. Elle est basée à Copenhague. et a levé 1 m€ en mars 2021.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans les résultats ?

L’écart entre hommes et femmes en matière de levées de fonds. Bien que ce sujet ait fait l’objet d’une attention extrême ces dernières années, j’ai quand même été surprise de constater que l’écart était si important.

Comment percevez-vous ces résultats à titre personnel ?

Étant moi-même une entrepreneure technologique, j’ai remarqué que cette composante « tech » était présente chez beaucoup des femmes levant des fonds. Je me demande donc si au final les résultats ne sont pas le reflet de la sous-représentation des femmes dans la tech.

Avez-vous eu l’impression que les investisseurs étaient plus réticents à prêter de l’argent aux femmes qu’aux hommes ?

Nous sommes une équipe mixte de cofondateurs. Avec toute l’attention portée à la diversité, j’ai presque eu l’impression que c’était à notre avantage que je sois une femme.


Où sont les femmes qui ont levé des fonds en 2020-2021 ?

Les 111 femmes de notre étude sont localisées majoritairement au Royaume-Uni. Ceci n’est pas étonnant puisque c’est la pays n°1 dans notre classement en matière de levées de fonds. Ce qui est plus étonnant par contre c’est la seconde place de la France qui passe devant l’Allemagne et la Suède (respectivement 2ème et 3ème de notre classement au niveau des montants levés).

On notera enfin la bonne place du Danemark qui est sur la 5ème marche des pays où les femmes sont les mieux représentées alors qu’il n’est que 13ème au niveau des montants levés. Cette performance est le reflet de la proportion élevée de femmes entrepreneures dans ce pays comme vous pourrez le voir dans le graphique suivant.representation of the number of the origin of women who have raised funds for their firms in 2020-2021

Quels sont les pays qui comptent proportionnellement le plus de femmes parmi leurs fondateurs ? Pour répondre à cette question nous avons représenté sur une carte la proportion de femmes dans chaque pays. Comme on peut le voir, la pourcentage varie grandement d’un pays à l’autre. Ces différences importantes sont aussi le reflet d’un nombre très limité de levées de fonds dans certains pays. Ainsi, la Lituanie, qui arrive en tête de notre classement, n’a ainsi connu que 10 levées de fonds impliquant 23 (co)fondateur (dont 7 femmes) sur la période.

Il en va de même pour la Roumanie, surprenant second en pourcentage de femmes parmi les (co)fondateurs mais qui au final ne réalise que 6 levées de fonds.

Sur la 3ème marche on retrouve bien évidemment le Danemark où 15,2% des entrepreneurs de notre étude sont des femmes. Le nombre de levées de fonds (23) y est plus significatif.percentage of women in fundraising firms per country in Europe / pourcentage de femmes ayant levé des fonds en Europe en 2020-2021

Mathilda Ström (BIMA)
« Quand j’ai vu les résultats, je n’ai pas été surprise »

Mathilda Ström est une entrepreneuse expérimentée. Cofondatrice de BIMA, elle a levé 26 millions d’Euros en Septembre 2020.

Suédoise d’origine, elle vit aujourd’hui au Royaume-Uni. « Quand j’ai vu les résultats, je n’ai pas été surprise », nous a-t-elle déclaré en introduction de notre entretien.

En discutant des résultats de cette étude avec Mathilda, elle a soulevé plusieurs réflexions intéressantes :

  • l’aversion au risque peut-elle expliquer pourquoi les fondateurs masculins sont plus présents que les fondatrices féminines ? Une étude précédente que nous avons menée dans toute l’Europe a montré des différences claires entre hommes et les femmes sur ce point. Consciente de ces différences, Mathilda se considère comme moins averse aux risques que son co-fondateur masculin.
  • Ces différences peuvent-elles s’expliquer par le profil des investisseurs, qui sont généralement des hommes ?
  • Comment l’expérience antérieure d’une femme fondatrice en matière de levée de fonds influence-t-elle sa probabilité de lever de nouveaux fonds ?
  • les équipes mixtes de fondateurs sont-elles plus performantes en matière de levées de fonds ?

BIMA est une entreprise de fintech dans le domaine de la santé. Elle fournit des services d’assurance et de santé numérique sur les marchés émergents. Elle a été fondée en 2010 par Gustaf Agartson et Mathilda et a levé quelque 200 millions de dollars au total.


TOP3 des femmes qui ont levé le plus de fonds

Le premier enseignement c’est que les plus grosses levées de fonds de startups cofondées par des femmes ne sont pas au Royaume-Uni. C’est en Suède et en Lituanie.

Deux femmes arrivent au coude-à-coude du classement en ce qui concerne les montants levés. Kry (Suède) a levé €262m et Vinted (Lituanie) 250m€. Sur la 3ème marche on trouve Infarm (Allemagne) avec 144m€.

  • Kry est une entreprise active dans la santé. Elle a été cofondée par Josefin LandgÃ¥rd.
  • Vinted est une des plateformes leader dans la vente de vêtements de seconde main. Elle a été cofondée par Milda Mitkute.
  • Infarm est une entreprise allemande spécialisée dans les fermes verticales. Elle a été cofondée en 2013 par Osnat Michaeli.

 


Pourquoi si peu de femmes dans les startups et scale-ups européennes ?

Les résultats de cette étude sont interpellants. Ils sont également en ligne avec d’autres études sur l’entrepreneuriat féminin et la représentation féminine dans les startups en forte croissance.

Nous émettons plusieurs hypothèses.

Faiblesse de l’entrepreneuriat féminin en général

Les femmes sont généralement moins enclines à prendre des risques que les hommes. C’est un facteur qui pourrait expliquer pourquoi elles créent moins d’entreprises. Une étude de l’INSEE montre qu’en France les sociétés créées par des femmes représentent un peu plus du tiers (37%) des entreprises. Il est donc logique de voir un déséquilibre au niveau des entreprises ayant reçues un financement privé.

Aversion au risque

Dans notre échantillon, la proportion de femmes étant nettement plus faible, on peut envisager également l’hypothèse d’une moindre présence des femmes dans les startups à forte croissance. Ceci pourrait s’expliquer par une plus forte aversion au risque comme nous l’avons montré dans cette autre étude.

Préjugés de la part des investisseurs

Dans cet article une fondatrice de startup raconte quelques anecdotes qui montrent que les investisseurs ont des préjugés qui affectent leurs décisions.

 


Conclusion

Cette étude portait sur 841 levées de fonds en 2020-2021 en Europe. Elle montre des différences significatives avec celles déjà réalisées aux États-Unis. Si les femmes sont mieux représentées qu’Outre-Atlantique, il n’en reste pas moins qu’elles sont encore en trop grande minorité. Ces résultats méritent donc d’être mis en avant afin de sensibiliser la sphère entrepreneuriale d’une part, et les pouvoirs publics d’autre part.


Zoë Vets Live The World

« Je ne me souviens pas avoir participé à une réunion avec une seule femme ou un représentant d’une minorité »

Zoë Vets est co-fondatrice et CMO de Livetheworld.com.Elle a levé €300k en Avril 2021. Elle est basée à Anvers en Belgique.

D’après vous, pourquoi ces entreprises sont en majorité fondées par des hommes ?

Je pense que ces entreprises ont en grande partie une composante technologique. Le monde de la technologie est encore largement dominé par les hommes. Cela se reflète également dans les fondateurs de ces entreprises. Obtenir un financement par le biais d’un « business angel » ou du capital-risque exige une approche volontaire et un certain risque. D’après ce que je peux voir ici en Belgique, l’entrepreneuriat féminin se développe largement. Mais la voie que les femmes empruntent pour obtenir des investissements est plus traditionnelle. Elles procèdent soit via des prêts traditionnels, soit via le crowdlending, et leur rythme de croissance est plus lent.

Est-ce qu’être une femme est un désavantage pour lever des fonds ?

Dans notre cas, tous les « business angels » et les sociétés de capital-risque étaient des hommes blancs (la plupart âgés). Je ne me souviens pas avoir participé à une réunion avec une seule femme ou un représentant d’une minorité. En fin de compte, nous devons nous rendre à l’évidence. Les gens gravitent autour de ceux qui viennent du même milieu. Il est beaucoup plus facile de parler à quelqu’un qui a fréquenté votre école ou qui est du même milieu socio-économique.

En plus de cela, je pense que la plupart (pas tous) des femmes et des hommes ont une approche différente du réseautage et de la promotion de leur start-up. Les hommes vont directement s’adresser à eux avec confiance, même si le lien est faible. Les femmes ont généralement une approche plus douce et plus détournée (ce que je fais aussi personnellement). En fin de compte, si la communauté des investisseurs ne se diversifie pas davantage en Belgique (et dans d’autres parties de l’Europe), même en essayant vraiment de promouvoir les femmes et les entrepreneurs issus de minorités, le nombre d’investissements restera décevant, j’en ai peur.

Quels sont les conseils que vous pouvez donner aux créatrices de startups pour lever des fonds ?

N’ayez pas peur de faire appel à votre réseau. Les gens sont vraiment plus disposés à vous aider et à vous mettre en relation que vous ne le pensez. C’est particulièrement important au stade initial, lorsque vous recherchez des investissements d’amorçage.



Publié dans Entrepreneuriat.

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