11 septembre 2013 1029 mots, 5 min. de lecture

La chasse à l’argent noir va-t-elle faire chuter les ventes de Ferrari ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
La fraude fiscale demeure un passe-temps très prisé en Italie (en Belgique aussi d’ailleurs) où les gouvernements Monti puis Letta testent depuis cette année une nouvelle approche.  Cette dernière, comme vous pourrez le voir dans la suite de cet article, […]

La fraude fiscale demeure un passe-temps très prisé en Italie (en Belgique aussi d’ailleurs) où les gouvernements Monti puis Letta testent depuis cette année une nouvelle approche.  Cette dernière, comme vous pourrez le voir dans la suite de cet article, continue d’alimenter le grand débat, vieux de bientôt 300 ans, sur la nature même des impôts. Sur la base de l’exemple italien, ce court article vous permettra de saisir la différence entre fiscalité indiciaire et fiscalité déclarative.

Le Redditometro, c’est quoi ?

C’est un outil mis en place par le fisc italien qui vise à déterminer la richesse des contribuables (donc leurs rentrées d’argent, c’est-à-dire leurs revenus) sur la base de leurs dépenses courantes, le type de voiture qu’ils conduisent, leurs dépenses vestimentaires, l’utilisation de leur téléphone portable, etc … Bienvenu dans le monde de Big Brother. S’il apparaît que ces dépenses sont au moins 20% supérieures aux revenus déclarés, le fisc sera en droit de vous réclamer des comptes.

Cet outil inquisiteur a été mis en place suite aux dérives constatées lors des contrôles des services fiscaux dans les localités comme Cortina d’Ampezzo, où à Noël 2012 une quarantaine de conducteurs de Ferrari avaient été contrôlés qui déclaraient des revenus annuels inférieurs à 30000 Euros.

Le Redditometro a connu une très forte opposition de la part des consommateurs qui voient dans cet instrument la fin de l’argent noir et la fin des bonnes affaires. L’argent pas très blanc avait en effet tendance à être écoulé dans la (sur)consommation car à part l’utiliser il n’y avait pas d’alternatives (le garder sous le matelas semble être une pratique relativement désuète).

Les craintes des commerçants se sont révélées fondées puisque la consommation de certains bien de luxe trop voyants (les voitures notamment) s’est effondrée. Voyez par exemple le témoignage de ce vendeur de Ferrari d’occasion :

 

Malgré les cas marginaux de particuliers honnêtes qui pourraient, à cause de leurs dépenses somptuaires, se trouver stigmatisés, je ne trouve dans le Redditometro qu’une expression moderne d’un type de taxation qui existe depuis la Révolution française. C’est en effet en 1797 que se répand un type de fiscalité née au Royaume-Uni, la fiscalité indiciaire.

Fiscalité indiciaire contre fiscalité déclarative : simplicité et justesse au cœur du débat

Avant la Révolution française le contrôleur général des Finances nouvellement nommé porte le nom de Silhouette (son patronyme deviendra d’ailleurs un nom commun par la suite). C’est sur une de ses idées qu’il n’aura pas le temps de mettre en place, son mandat n’ayant duré que 8 mois, qu’un impôts sur les portes et fenêtres sera mis en place en 1797. Cet impôt, bien que décrié, ne sera définitivement aboli qu’en 1926 preuve s’il en est que la vindicte populaire ne suffit pas toujours à abolir un principe qui profite à l’Etat. Cet impôt sur les portes et fenêtres connaitra une variante sur les cheminées; il est de nature indiciaire car il donne un indice, une indication, de ce que le propriétaire peut gagner. En effet il n’est pas complètement erroné de penser que plus une maison est grande et comporte de portes et fenêtres, plus son propriétaire est aisé et « mérite » de payer une part supérieure d’impôts.

A l’inverse une fiscalité qui ne se base pas sur des éléments extérieurs mais sur la déclaration du contribuable même est qualifiée de déclarative.

Chaque type de fiscalité a des avantages et des inconvénients: la fiscalité indiciaire (la taxe d’habitation ou le précompte immobilier en sont des exemples) se base sur des éléments simples à vérifier pour l’administration fiscale: la surface d’une habitation, le nombre de fenêtres, … elle a par contre pour désavantage de ne pas tenir compte des revers de fortune éventuels ou de l’évolution intrinsèque de la valeur d’un bien.

La fiscalité déclarative quant à elle à l’avantage de se baser sur un élément très tangible et parfaitement représentatif de la capacité de chacun à contribuer au revenu de l’Etat: les revenus. Son inconvénient est qu’elle est déclarative, c’est-à-dire qu’elle implique de faire confiance au déclarant (le contribuable) ce qui est relativement dangereux. Voici pourquoi l’Etat dans plusieurs pays essaie de court-circuiter ce danger en pré-remplissant les déclarations de revenus. Le risque de fraude se réduit dès lors.

Quel avenir pour la consommation de luxe ?

Il y a fort à parier que la consommation de luxe en Europe va être négativement impactée par cette chasse à l’argent noir. L’argent dissimulé au fisc constituait en effet une réserve d’argent de poche facile à dépenser pour ceux qui en bénéficiaient. Les commerçants italiens ressentent déjà les effets des mesures Monti mais il n’y a laà dedans rien que de très normal. L’argent noir alimente en effet une économie parallèle et permet la survie d’entreprises moribondes qui, sans cette injection de sang noir, seraient mortes depuis longtemps. Le débat est le même pour l’Horeca en Belgique où l’installation des fameuses boîtes noires, tant décriées, ne fera qu’assainir un secteur économique qui est en soi une anomalie.

Comme souvent malheureusement, ceux qui s’en tireront le mieux ne sont pas les petits mais bien les gros. La consommation traditionnelle va pâtir de ces mesures mais les entreprises du luxe ne seront pas trop affectées. Les ventes de ces dernières sont en effet depuis longtemps réalisées avec une clientèle non Européenne et si l’Europe emprunte le chemin de la vertu ce n’est pas le cas du Far Est. Le luxe a donc encore de beaux jours devant lui dans ces « relais de croissance » lointains où l’argent noir existe encore.



Publié dans Recherche, Stratégie.

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