4 septembre 2017 1151 mots, 5 min. de lecture

Le pricing dynamique : évolution naturelle du marketing ou menace ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Dans un article récent (en anglais), The Guardian dressait le portrait de John Wanamaker, un homme qui a révolutionné le commerce de détail en inventant le concept de « prix fixes ». Aussi incroyable que cela puisse paraître, jusqu’en 1861, les prix […]

Dans un article récent (en anglais), The Guardian dressait le portrait de John Wanamaker, un homme qui a révolutionné le commerce de détail en inventant le concept de « prix fixes ». Aussi incroyable que cela puisse paraître, jusqu’en 1861, les prix étaient fixés « à la tête du client ». Si le vendeur estimait que vous aviez de l’argent, vous étiez susceptible de payer plus que votre voisin.

Force est de constater qu’aujourd’hui nous faisons marche arrière. La règle du «prix unique pour tous» semble à nouveau laisser le pas à un mécanisme de fixation du prix « à la tête du client », le « dynamic pricing » ou « pricing dynamique en franglais. Comment est-ce possible ? « Simplement » grâce au Big Data. D’une part les données disponibles sur les individus permettent une meilleure segmentation; d’autre part les progrès de l’informatique permettent le traitement en temps réel de ces données à coût réduit.
La publicité en ligne a largement exploité ces avancées informatiques, conduisant notamment à la création de système d’enchères en ligne pour l’affichage de la publicité sur l’ordinateur de l’utilisateur. Dans son sillage des pratiques de « retargeting » se sont également développées qui soumettent sans cesse l’utilisateur à des publicités invasives pour des sites qu’il a visité par le passé. Une nouvelle vague est sur le point d’atteindre les rivages du commerce connecté : les prix qui s’adaptent à votre profil.

Le cas classique du pricing dynamique dans un contexte B2C

Les utilisations classiques du pricing dynamique peuvent se retrouver dans des contexte où la demande est susceptible de varier rapidement: le transport aérien ou ferroviaire et l’hôtellerie en sont les meilleurs exemples.
Le prix varie en effet en fonction du moment. Dans le cas d’une compagnie aérienne, plus tard vous réservez, plus vous êtes susceptible de payer cher. A niveau de confort égal le prix est principalement une question de « timing ». C’est un prix sensible à la variable temporelle.
Les ajustements de prix peuvent également être moins rapides. Dans le commerce de détail les prix sont susceptibles d’être ajustés pour refléter ceux de la concurrence. Les supermarchés par exemple sont connus pour rendre visite à leurs concurrents et ajuster leurs prix sur base quotidienne. Il s’agit cependant d’un processus manuel.

Dans le futur les clients ne paieront plus le même prix

Les développements les plus récents en matière de pricing dynamique sont rendus possibles grâce aux progrès de l’intelligence artificielle et à des capacités de calcul peu coûteuses et disponibles en quantité suffisante. Ce qui a changé c’est que à un instant t plusieurs clients sont susceptibles de voir des prix différents pour un même objet. Le processus d’ajustement n’est plus manuel mais est piloté par une machine.
La règle du prix unique est morte. Paix à son âme.

Le pricing dynamique envahira-t-il également les magasins « en dur » ?

Dans l’article du Guardian, l’auteur, Tim Adams, soutient que le pricing dynamique « à la tête du client » est également rendu possible grâce aux étiquettes électroniques, des dispositifs fixés sur les rayonnage et qui affichent un prix piloté à distance. Grâce à ce système il devient en effet plus simple de changer les prix, de s’adapter aux promotions de la concurrence.
Adams rend compte d’une expérience qui pose question en termes éthiques.

« Il y a quelques années, B & Q a testé les étiquettes de prix électroniques qui affichent le prix d’un article en fonction du client en utilisant les données recueillies auprès du téléphone mobile de ce dernier, dans le but, déclara le magasin +de récompenser les clients fidèles avec des rabais et des offres spéciales+ plutôt que d’identifier ceux qui pourraient payer un prix plus élevé pour un produit en fonction de leur historique d’achat. »

Éthique ou non ?

L’expérience de B & Q, qui apparemment remonte à 2013, se déroulait comme suit:

« Les étiquettes de prix, connectées au wifi, identifient les acheteurs passant près d’elles grâce aux puces des téléphones mobiles puis accèdent aux données des cartes de fidélité ou à l’historique d’achat pour proposer un prix approprié affiché à côté de l’objet ».

Ceci ressemble fort à un système de promotions (couponing) en temps réel, beaucoup plus efficace que les systèmes actuels qui sont toujours décalés dans le temps par rapport à l’acte d’achat (les coupons sont soit produits avant la visite en point de vente, soit juste après que le paiement soit effectué, ce qui dans tous les cas diminue nettement leur efficacité et n’aboutit pas au comportement impulsif espéré).
La vraie question est de savoir si de tels systèmes sont éthiques et s’ils constituent une menace en termes d’équité entre clients. Apparemment, « les commerçants britanniques sont encore un peu terrifiés à l’idée que les clients soient perdus à cause de ces changements de prix ». Il se peut que ces craintes soient justifiées car le commerce de proximité est très différent de l’e-commerce. Dans un contexte online vous ne voyez pas ce que d’autres clients ont payé. Tout est caché, chacun étant derrière son écran. Vous pouvez au mieux, à l’occasion d’un voyage en avion ou en train et d’une discussion avec votre voisin, vous rendre compte que le prix payé diffère. Parions toutefois que vous trouverez une explication à cette différence.
Dans le cadre d’un magasin « en dur », un vrai point de vente avec de vrais employés et des clients en chair et en os, l’approche est très différente. Comment réagiriez-vous en voyant un client qui, s’approchant d’un produit que vous avez mis dans votre chariot à l’instant, verrait un prix inférieur s’afficher ? Trouveriez-vous cela juste ?

Conclusion

Les techniques de tarification dynamiques (dynamic pricing) ont été rendues possibles grâce à une puissance de calcul abondante et bon marché d’une part, et à la hausse de la part des achats en ligne d’autre part. L’ajustement des prix dans des environnements offline en fonction du profil des clients semble toutefois demeurer une utopie. Si les défis techniques sont encore nombreux c’est la question de l’éthique qui pose le plus de problèmes.
La tarification dynamique comprend une part de mystère et ses mécanismes demeurent opaques pour les consommateurs. En exposant la réalité de cette dynamique dans un contexte réel, les retailers risquent fort de se mettre leurs clients à dos et de casser le lien de confiance et la fidélisation qui les unie.



Publié dans Data et IT, Innovation, Marketing.

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