16 septembre 2020 1004 mots, 5 min. de lecture

Une étude qualitative des touristes chinois met à mal les stéréotypes

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Les grands musées en font-ils assez pour comprendre l’expérience client qu’ils proposent ? Dans cet article je m’interrogeais sur l’usage du Big Data pour mieux comprendre les attentes des visiteurs et augmenter leur satisfaction. Même sans Big Data il est […]

Les grands musées en font-ils assez pour comprendre l’expérience client qu’ils proposent ? Dans cet article je m’interrogeais sur l’usage du Big Data pour mieux comprendre les attentes des visiteurs et augmenter leur satisfaction. Même sans Big Data il est possible de mieux comprendre ses « clients ». La preuve aujourd’hui avec une étude qualitative des touristes chinois du château de Versailles.

Si vous n’avez que 30 secondes

  • Les institutions culturelles ont beaucoup à gagner de l’étude des attentes de leurs visiteurs par le biais des études qualitatives
  • La méthodologie qualitative mise en place pour l’étude des touristes chinois combine plusieurs techniques : entretiens sur base d’un questionnaire, observations non-participatives, entretiens de sortie pour confirmer les observations.
  • L’approche qualitative permet d’apporter un éclairage plus nuancé sur les attentes et les comportements des touristes chinois dans les hauts lieux culturels français.

Introduction

Dans son étude, Isabelle Brianso décrit bien le paradoxe de l’image du touriste chinois en France. Premiers visiteurs du Château de Versailles (11% des visites), 2ème clientèle étrangère du Louvre (derrière les Américains), les Chinois sont une source importante de revenus pour la France mais sont perçus comme une nuisance par les autres visiteurs.



Rares sont ceux qui mènent des études qualitatives dans leurs espaces d’exposition pour explorer les attentes des publics.



Grâce à une approche qualitative in-situ, l’auteure de l’étude publiée en 2017 a voulu dépasser les clichés négatifs véhiculés sur les touristes chinois :

un certain nombre de stéréotypes sont régulièrement « plaqués » aux touristes chinois, qui seraient peu cultivés et assez grossiers. Selon les idées reçues, les publics chinois ne se déplaceraient qu’en groupe, visiteraient en priorité le Louvre ou Versailles, mangeraient exclusivement dans des restaurants asiatiques pendant toute la durée de leur tour culturel européen.


Étude qualitative des touristes chinois

L’étude  a été réalisée in-situ, au Château de Versailles, en allant directement au contact des touristes chinois.
Cette étude est en outre un bon exemple de la combinaison de différentes techniques qualitatives afin de saisir la réalité d’une situation. Afin de comprendre la réalité du touriste chinois en France, 2 techniques ont été combinées :

  • entretiens individuels en face-à-face sur la base d’un questionnaire
  • observations non-participatives des touristes dans la galerie de l’Histoire du château de Versailles.

L’analyse des données ainsi récoltées a permis aux chercheurs de reconstituer une « expérience client » en 3 temps : avant la visite, pendant, après. Ce schéma de lecture se révèle très utile et se rapproche de la « roue de l’expérience client » que nous utilisons souvent pour nos analyses (cliquez ici pour la télécharger à partir de notre page « ressources« ).

Entretiens qualitatifs en face-à-face

Une première enquête qualitative a été réalisée en « face à face » par trois enquêteurs d’origine chinoise et sinophones sur un échantillon de 283 personnes. La sélection des répondants a été effectuée sur la base de l’âge (>15 ans), de la langue parlée et de la nationalité. En outre un équilibre a été recherché entre touristes voyageant seuls et ceux voyageant en groupe.

Observations + entretiens de sortie

Pour compléter les entretiens qualitatifs, un suivi de cinquante-trois visiteurs chinois a été réalisé. Cette technique est également appelée « shadowing » et consiste à suivre (sans se faire repérer ) des clients afin d’observer leurs comportements. La distance permet de ne pas influer sur le comportement des clients. C’est ce qu’on appelle une observation non-participative. Ce suivi « discret », comme le décrit l’auteure, avait pour but « d’observer la circulation des visiteurs dans l’espace muséal (flux, point d’accélération ou de ralentissement, utilisation des différents supports de médiation). » Pour compléter les observations réalisées, des entretiens individuels des 53 visiteurs chinois complétèrent le dispositif.

 



Conclusions : qui est vraiment le touriste chinois du château de Versailles ?

Les conclusions de l’étude permettent de nuancer les stéréotypes véhiculés sur les touristes chinois :

  • le touriste chinois est bien informé avant de visiter le château de Versailles. Les Chinois sont eux-mêmes pétris d’idéaux de romantisme dont le Château de Versailles est une matérialisation.
  • les stéréotypes qui suivent les touristes chinois (et qui étaient, comme le relève Isabelle Brianso, les mêmes pour les touristes japonais à une autre époque) découlent de la dynamique de visite de lieux hyper fréquentés. Comme elle l’écrit « rien ne différencie le touriste chinois d’un autre touriste lorsqu’il visite un site patrimonial hyper fréquenté d’Île-de-France, tel que la tour Eiffel ou le château de Versailles »
  • la visite des hauts lieux de l’Histoire française procure au touriste chinois un rayonnement social qui se concrétise, au retour en Chine, par des souvenirs de luxe et par des photos. Le prestige de l’Histoire française tend donc à rejaillir sur le visiteur chinois par le truchement de ces éléments de démonstration qui caractérisent ‘l’exotisme » et le « romantisme » à la française.

Comme souvent avec les études qualitatives, la profondeur de l’analyse et la richesse des points de vue permettent d’aller au-delà des évaluations quantitatives.
Ceci fait dire à Isabelle Brianso que les méthodologies qualitatives devraient être plus utilisées dans le secteur culturel :

Les musées et sites d’Île-de-France, […] constatent par les chiffres plus qu’ils n’étudient l’arrivée en masse des visiteurs chinois. Rares sont ceux qui mènent des études qualitatives dans leurs espaces d’exposition pour explorer les attentes des publics, notamment celles liées aux pratiques du numérique.


Références

Brianso, I. (2017). L’expérience de visite des touristes chinois à Versailles : entre stéréotype et représentations. Communication & langages, 191(1), 51-65. doi:10.4074/S0336150017011048.


Images d’illustrations : shutterstock



Publié dans Divers.

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