6 avril 2020 878 mots, 4 min. de lecture

Impact du coronavirus sur les méthodes d’études de marché qualitatives

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
La crise du coronavirus nous affecte toutes et tous, quel que soit son secteur d’activité. Le secteur des études de marché ne fait donc pas exception. La réalisation des études de marché qualitatives en particulier est impactée puisque la réalisation […]

La crise du coronavirus nous affecte toutes et tous, quel que soit son secteur d’activité. Le secteur des études de marché ne fait donc pas exception. La réalisation des études de marché qualitatives en particulier est impactée puisque la réalisation des entretiens qualitatifs ou des focus group n’est plus possible qu’à distance. Un prospect m’interrogeait la semaine dernière sur les adaptations méthodologiques qui résultaient de la crise du Coronavirus. La virtualisation est bien entendu la première réponse et elle est d’ailleurs conseillée par l’ESOMAR. Mais des entretiens qualitatifs à distance sont-ils toujours aussi efficaces ? Comment la communication est-elle affectée par la distance ? Une publication de mon ami le Dr. Emmanuel Tourpe m’a donné l’excuse de répondre à cette question.

Recherche qualitative à distance

Le confinement pose la question de la continuité des activités et en particulier des études de type qualitatif. Il va de soi que les projets d’ethnographie, d’observations participatives, de Design Thinking ne sont plus possibles dans les conditions actuelles. A moins bien sûr que vous vous intéressiez à ce que les consommateurs font chez eux et dans ce cas la période est idéale.

Mais qu’en est-il des focus groups et autres entretiens en face-à-face ? Les directives de l’ESOMAR sont claires : il faut privilégier les méthodologies online quand c’est possible. Nous réalisons déjà quantité d’entretiens à distance par Skype, Webex ou d’autres moyens équivalents. Mais pour les focus groups c’est une autre histoire.

Concrètement et précisément, je doute qu’un entretien qualitatif semi-structuré ou « libre » puisse être mené avec le même résultat online. Le manque de proximité physique se ressent forcément sur la capacité de l’interviewer à mettre son interlocuteur en confiance, à avoir son attention pleine et complète, et à approfondir les sujets avec la même efficacité. Je pense par contre que les entretiens dirigés peuvent tout à fait se dérouler online sans perte notable de qualité.

ce que l'on veut dire, ce que l'on dit réellement

Impact de la distance sur la qualité de la communication

Emmanuel Tourpe est professeur de communication.

Emmanuel Tourpe est professeur de communication.

La distance physique qui résulte de la virtualisation des interactions me semble représenter une nouvelle sorte de biais communicationnel. Avec l’autorisation d’Emmanuel Tourpe je reproduis le texte qu’il a consacré aux difficultés de la communication, aux biais cognitifs et à la difficulté même de communiquer. La distance imposée par le confinement et l’utilisation des outils numériques me paraît compliquer un peu plus la recherche de l’intention de la personne interviewée et bien entendu la détection des émotions. Comment, au travers du filtre de la caméra, détecter les signes corporels qui trahissent une émotion, un non-dit, bref une information cruciale pour toute recherche qualitative de nature exploratoire ?

Laissons maintenant la parole à Emmanuel qui possède le don rare d’écrire clairement tout en préservant la beauté de la langue. N’hésitez pas non plus à consulter son cours sur la théorie communicationnelle.


« Communiquer c’est faire passer un message malgré les 27 biais cognitifs habituels (ou blessures de l’intelligence) qui viennent l’embrouiller et qui viennent obscurcir le sens.
Cela suppose un effort de la part de celui qui communique (l’expressis verbis : clarté et netteté). Mais surtout un de la part de celui qui reçoit le message : l’intentio auctoris (chercher activement ce que l’autre veut dire).
Tout le monde sait qu’il y a un paquet de règles pour faire passer son message.
Mais on oublie souvent qu’il y a un vrai travail de la part de celui qui le reçoit. N’être attentif qu’aux émotions perçues ou sentiments instinctifs que l’on ressent, nés du message; projeter ses a priori; ne pas être attentif au contexte; prêter des intentions; ne pas lire ou entendre ce qui est dit ou écrit.
Il y a une responsabilité, rarement soulignée, du récepteur : chercher l’intention de l’auteur. C’est une règle en exégèse scientifique – ça devrait en être une en couple, en famille et au boulot. Au lieu de plonger sur ce que je crois avoir compris – avoir l’amour de réfléchir à ce que l’on a voulu exprimer.
Quand quelqu’un nous parle, ou nous écrit, c’est toute notre existence avec ses blessures qui interprète le message – et le plus souvent le mésinterprète. La raison et l’amour doivent ici l’emporter sur l’émotion pour retrouver le sens authentique de l’auteur. C’est une règle oubliée de la communication. Si l’on profitait du temps de confinement pour aiguiser notre sens de la réception active, et pour mieux communiquer aussi en « sauvant la proposition d’autrui » (St Ignace) au lieu de se jeter sur tout ce qui est dit sans écoute ni effort ? »

Pour aller plus loin

Hall, S. (1973). Encoding and decoding in the television discourse.

Ide, P. (1992). Connaître ses blessures. Ed. de l’Emmanuel.

 

Images d’illustration : shutterstock

 



Publié dans Marketing.

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