L’étude des prix de la recharge pour véhicules électriques via la plateforme Chargemap fait apparaître des différences incompréhensibles d’un opérateur et d’un pays à l’autre. Des différences de 1 à 9 sont mises en évidence, ainsi que des modèles de facturation qui rendent la conduite en mode électrique non rentable dans 32,6% des cas par rapport à l’essence.
Notre étude exclusive sur le prix des recharges électriques sur le réseau Chargemap dans 20 pays européens montre des différences de tarifications incompréhensibles. Ces différences reflètent le manque de régulation d’un secteur qui, dans certains pays, tire profit d’une situation oligopolistique pour imposer des tarifs trop élevés au consommateur. Cette situation interroge également sur les marges de Chargemap et sur l’évolution nécessaire d’un secteur qui souffre d’inefficacité (concurrence et transparence des prix) sur lesquelles prospèrent opérateurs et intermédiaires.
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Statistiques sur le prix des recharges électriques en Europe via Chargemap
- 68,8% des recharges sont facturées uniquement au kWh
- 21,4% des recharges sont facturées au kWh et à la minute
- 6,3% des recharges sont facturées uniquement à la minute
- dans 5,2% des cas des coûts fixes sont ajoutés qui peuvent atteindre 14,52€ par charge.
- Parmi les opérateurs facturés au kWh sur Chargemap, le moins cher est EVBox en Norvège (0,2€/kWh) et le plus cher est Saascharge International (1,391€/kWh). La marge de Chargemap sur le tarif de Saascharge est de 58%.
- La recharge la moins chère est en Norvège (10,1€ pour 48,6kWh)
- La recharge la plus chère est en France à Argeles-sur-Mer (facturation au temps uniquement : 0,872€/minute pour une prise domestique 3,7kW et une Type 2 de 22kW)
A titre d’introduction, il convient de rappeler (voir également section méthodologie) que les chiffres cités dans cet article proviennent d’un relevé effectué en Août 2023 sur Chargemap. Les prix relevés ne sont donc pas le reflet des prix que vous pourriez obtenir en souscrivant un abonnement directement auprès d’un opérateur. Mais là n’est pas la question. Outre le fait qu’un abonnement (payant) vous lie à un opérateur donné, cela n’est en rien une solution pour le propriétaire de voiture électrique qui voyage hors des frontières de son pays.
Objectifs de cet article
L’objectif de cet article est double.
D’une part j’ai souhaité, en tant que propriétaire de véhicule électrique, comprendre les différences de prix qui existent d’un opérateur à l’autre. L’électricité étant une commodité, il m’a semblé illogique au premier abord que les prix varient dans de trop grandes proportions. Serait-il logique que le litre d’essence soit affiché à 2€ le litre dans une station et à 14€ dans une autre, à fortiori dans le même pays ?
D’autre part, j’ai voulu m’interroger, à travers ces différences de prix, sur l’efficacité du marché et son devenir possible. En l’absence actuelle de régulation, le marché est atomisé et peu efficace. Des intermédiaires (comme Chargemap) prospère sur ces inefficacités au détriment des consommateurs. Quelles sont les solutions et que sera dès lors l’avenir de Chargemap et de ses équivalents ?
Mais avant de tirer des conclusions trop hâtives, il convient de se plonger dans les chiffres.
Des prix qui varient du simple au triple dans un même pays
Dans un même pays les prix varient en général du simple au triple. Pour être tout à fait exact, l’écart de prix moyen entre l’opérateur le plus cher et l’opérateur le moins cher est de 2,89. Dans certains pays la différence entre le kWh le moins cher et celui le plus cher peut même atteindre des proportions plus élevées :
- 5,75 en France
- 4,81 en Autriche
- 4,80 en Lettonie
En dehors de ces extrêmes, les différences restent interpellantes dans la plupart des pays. Tellement d’ailleurs qu’elles doivent nous pousser à nous interroger sur leur origine. Pourquoi dans un même pays verrait-on des différences de 1 à 3 pour une commodité comme l’électricité ?
La recharge la plus chère est en Italie
Le prix moyen d’une recharge peut varier du simple au double en fonction du pays. Alors que vous paierez 21,99€ en Norvège, il vous en coûtera 48,28€ en Italie.
Ces différences sont encore plus impressionnantes lorsqu’on représente chacun des prix relevés. Sur le graphique ci-dessous, chaque point bleu représente un opérateur. Le point orange correspond à la médiane du prix de recharge pour le pays en question. Les écarts de prix sont difficilement explicables par des raisons rationnelles.
Ceci pose bien entendu la question de la rentabilité de rouler à l’électrique (avec une carte Chargemap).
Ce que cette étude montre c’est qu’au niveau européen, 67,4% des opérateurs sur Chargemap sont affichés à des prix qui restent plus intéressants que l’essence. Mais cette situation varie grandement en fonction des pays. En Italie par exemple, 82% des opérateurs présents sur Chargemap sont facturés au client final à des prix qui rendent la conduite électrique plus chère que l’essence. Pour les propriétaires italiens qui ne peuvent pas recharger à domicile, il reste donc plus rentable de rouler à l’essence (à moins de souscrire un abonnement directement auprès d’un ou plusieurs opérateurs bien entendu).
A l’opposé, dans d’autres pays rouler à l’électricité est toujours moins cher que rouler à l’essence. C’est le cas de la Grèce, de l’Espagne, de la Norvège, de la Lituanie, des Pays-Bas et de la Finlande.
Le kWh le moins cher est en Norvège avec Chargemap
Sur la base d’une charge de 48,6 kWh, il est possible de calculer un prix moyen au kWh. Les surprises sont nombreuses. Dans le trio des pays les plus chers sur Chargemap on trouve donc l’Italie, l’Autriche et la France, dont les prix au kWh avoisinent 1€. Les causes sont sans doute différentes.
La première place de l’Italie n’est pas étonnante car c’est le second pays le plus cher d’Europe pour le prix industriel de l’électricité avec 0,3257€/kWh au second semestre 2022 (voir statistiques Eurostat). Mais que dire de la France et de l’Autriche ? L’Autriche fait partie des 10 pays les moins chers en Europe (0,1717€/kWh) et la France, grâce à son parc nucléaire, fournit presque l’électricité la moins chère d’Europe (0,1237€/kWh). Seule la Finlande fait encore mieux avec un prix industriel de 0,1144€/kWh.
Que se passe-t-il ?
En Autriche, les prix élevés sont largement dus au modèle de pricing. Sur 21 opérateurs autrichiens présents sur Chargemap :
- 5 ajoutent une facturation à la minute en plus de la facturation au kWh
- 8 ne facturent que sur la base du temps de charge
Ceci est d’autant plus désavantageux qu’il ne s’agit pas de bornes de supercharge mais de bornes de 11 ou 22 kW. Si votre voiture ne dispose pas d’un convertisseur puissant, votre charge dure donc plus longtemps et vous êtes pénalisé. La palme revient à Electromaps dans la bourgade de Ried im Innkreis dont les services via Chargemap pour une borne de 11kW sont facturés 0,29€/min assortis d’un cout fixe de 14,52€.
Une situation oligopolistique est forcément sous-optimale. Des intermédiaires tels que Chargemap s’engouffrent donc cette brèche car elle représente une opportunité de business.
Chargemap profite de l’inefficacité du marché
Que retenir de cette étude et que nous enseigne t-elle sur l’état du marché de la recharge de véhicules électriques aux bornes publiques ?
Enseignement 1 : variations de prix
Le premier enseignement est que les prix pour une commodité varient grandement. Alors que les prix industriels de l’électricité varient de 1 à 3 entre la Finlande (le moins cher) et la Roumanie (le plus cher), les prix des recharges sur Chargemap varient de 1 à 9 et même de 1 à 23 en tenant compte des « outliers ».
Enseignement 2 : les services de Chargemap sont loin d’être gratuits
Le second enseignement est que les services de Chargemap ne sont pas gratuits et peuvent parfois être très chers. Dans le cas de la borne la plus chère d’Europe sur Chargemap, nous savons que le prix de Saascharge est plus que doublé. Une marge de 58% est partagée entre Chargemp et la plateforme d’interopérabilité. Les utilisateurs réguliers de Chargemap doivent donc s’interroger sur la rentabilité de l’opération. Pour ceux qui voyagent peu, il pourrait être plus intéressant de souscrire un abonnement directement auprès d’un opérateur.
Enseignement 3 : le marché
Le troisième et dernier enseignement concerne la structure du marché. Les opérateurs, en imposant des abonnements et des tarifications parfois complexes, tentent de verrouiller les utilisateurs dans leur réseau. La méthode est connue et a fait les beaux jours d’Apple par exemple avec ses câbles de recharge, son système d’opérations, son magasin d’application, …
A ceci s’ajoute la structure qui résulte des marchés publics qui commande l’implantation des bornes en libre accès. Par la force des choses, ces marchés publics sont dominés par quelques sociétés, ce qui conduit à des situations oligopolistiques dans certaines villes. Une situation oligopolistique est forcément sous-optimale. Des intermédiaires tels que Chargemap s’engouffrent donc cette brèche car elle représente une opportunité de business. Des règles claires, imposées au niveau européen pour faciliter la concurrence, devraient apporter de la souplesse dans ce marché. Par exemple il est primordial de rendre plus flexible l’utilisation de bornes appartenant à des opérateurs différents sans disposer d’une carte d’abonnement. A l’heure où tout le monde a appris a payer avec sa carte bancaire et sans contact, il est urgent de rendre les bornes compatibles entre elles. De cette manière, des sociétés comme Chargemap devraient disparaître à terme.
Méthodologie
Pour cette étude, nous avons relevé les prix de 173 opérateurs sur Chargemap pour des recharges sur des bornes Type 2 AC (le plus répandu) de 3 à 44 kW. Le relevé a été effectué dans 20 pays européens.
Afin de comparer de manière fiable les opérateurs entre eux, le prix relevé a été celui facturé par Chargemap, le réseau européen le plus étendu en matière de recharge pour véhicules électriques.
Le prix total d’une recharge a été calculé sur la base d’une recharge de 20% à 80% d’un véhicule de type BMW i4, soit une charge de 48,6 kWh. Ce véhicule est équipé d’un convertisseur de 11kW. Le temps de charge a été déterminée en utilisant ce calculateur online.
Le moyen de la consommation électrique a été calculée sur la base des données constructeur, soit 17,6 kWh/100 km (données officielles du cycle WLTP : 16,1-19,1 kWh/100). La consommation moyenne d’un véhicule thermique a été déterminé sur la base des données 2020 de l’Ademe pour le parc français, soit 6,8L d’essence par 100 km. Le prix du litre d’essence a été fixé à 2€/L dans cette étude afin de surestimer le prix au kilomètre d’un véhicule thermique.
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