Canicule : quels effets sur la croissance et l’Europe ?

La canicule a des effets économiques qui ont été chiffrés à 0,6 point de PIB. Les effets varient en fonction des pays et l’Europe est particulièrement touchée. Cet article analyse également les solutions possibles pour les entreprises et propose une lecture à moyen et long-terme des effets sur les territoires touchés par la canicule. Dubaï est déjà un exemple d’un territoire qui a mis en place des stratégies pour rester compétitif malgré la canicule.

Canicule : quels effets sur la croissance et l’Europe ?

Une étude publiée en Juillet 2023 chiffre le coût de la canicule à 0,6 point de PIB mondial. Dans un contexte de réchauffement climatique global, je fais le point dans cet article sur certaines statistiques issues du rapport ainsi que sur les perspectives probables en termes de croissance. Les épisodes de canicule risquent de mener à long-terme à l’exclusion économique de territoires entiers.

7 statistiques sur les conséquences de la canicule sur la croissance

  • 0,6 point de PIB : le coût de la canicule aux Etats-Unis, en Europe et en Asie
  • 40% : diminution de la capacité à effectuer un travail physique à 90°F (32°C).
  • 0,9 point de PIB : perte pour la Grèce après 35 jours à plus de 32°C.
  • 2,2% : réduction prévue des heures de travail mondiales à cause du stress thermique.
  • 470 milliards d’heures : heures de travail perdues en 2021 à cause de la chaleur.
  • 7% : réduction potentielle du taux de croissance du PIB pour une catastrophe majeure.
  • 100 milliards de dollars : pertes annuelles citées par le président Biden dues à la chaleur extrême aux États-Unis.

Il n’aura échappé à personne que l’été 2023 fut marqué, une fois de plus, par des épisodes caniculaires dramatiques. Valence (Espagne) a battu de 3 degrés son record absolu de température, les cactus meurent en Arizona car les températures nocturnes sont trop élevées, le mois de Juillet a été le plus chaud jamais enregistré sur Terre. Ces épisodes de canicule affectent les êtres humains et par ricochet les entreprises. Les températures élevées ont un coût économique qu’il faut prendre en compte. Avec la multiplication des épisodes caniculaires en Juillet et en Août, l’activité des entreprises est désormais impactée négativement bien au-delà des simples congés estivaux.

La chaleur excessive fait baisser la productivité

Il est un fait que la canicule fait baisser la productivité. Nous l’avons tous vécu au moins une fois. Mais avec la multiplication des épisodes caniculaires, c’est presque une carte de la chute de productivité qui se dessine.

Rappelons tout d’abord quelques chiffres :

  • La capacité à effectuer un travail physique diminue d’environ 40% lorsque les températures atteignent 32°C.
  • Lorsque les températures montent à 38°C, la baisse de productivité chute de 2/3

Une étude publiée dans Nature montre que l’Europe se réchauffe 3 à 4 fois plus vite que les autres territoires aux mêmes latitudes. L’étude identifie le jet-stream comme une cause probable de ce réchauffement accéléré. En Europe, la Grèce et l’Espagne sont particulièrement à risque. L’impact sur leur PIB est estimé respectivement à -1 et -0,9 point de croissance. A l’échelle de la planète, on estime que 2,2% des heures de travail seront perdues à cause d’une chaleur excessive.

Ceci pose bien évidemment la question de l’adaptation des conditions de travail.


On voit s’entremêler progressivement la notion de travailleur et de réfugié climatique.


canicule heat wave


Comment les entreprises peuvent s’adapter à la canicule

Il faut distinguer plusieurs approches possibles : organisationnelle, technologiques et infrastructurelle.

Organisation interne

L’ajustement des horaires est la solution la plus facile à mettre en œuvre. Pendant les périodes caniculaires il faut commencer à travailler plus tôt le matin. Plus généralement, les épisodes caniculaires estivaux posent la question d’un rééquilibrage des prestations à l’échelle de l’année. Peut-être est-il opportun, à l’avenir, de réfléchir à une répartition des heures de travail à l’échelle de l’année plutôt que sur base mensuelle. Ceci aurait l’avantage de déplacer la charge de travail lorsque les conditions climatiques sont plus favorables, c’est-à-dire en dehors des mois d’été.

Technologie

La climatisation est bien sûr LA solution technologique. Mais son utilisation massive a également un impact sur la consommation d’énergie électrique et donc sur le réchauffement climatique puisque le mix énergétique est largement dominé par les énergies fossiles. Il y a donc un vrai paradoxe à prendre en considération ici.

Infrastructure

Le dernier type de mesures est plus compliqué à mettre en œuvre. Il s’agit de mesures qui relèvent d’une part de la planification urbaine, et d’autre part de l’architecture des bâtiments. La « verdurisation », tant des bâtiments que des espaces urbains, est par exemple une mesure dont l’efficacité n’est plus à prouver.

Au niveau des bâtiments eux-mêmes, l’isolation et le refroidissement passif sont également des pistes de réflexion. On notera d’ailleurs, non sans ironie, que c’est à l’occasion de ces épisodes caniculaires qu’on retrouve le bien-fondé de certaines techniques de construction anciennes comme les badgirs (voir vidéo ci-dessous) qui sont utilisés depuis le 8ème siècle en Iran. Il s’agit de « tours de réfrigération » qui permettent de capturer le vent et de le faire circuler dans le bâtiment.

 


En conclusion : vers des territoires d’exclusion économique

Cette étude pose la question du devenir de certains territoires. En chiffrant les conséquences économiques de la chaleur excessive, elle montre que certains territoires vont voir leur productivité et donc leur attractivité décroître. D’autres au contraire pourraient devenir plus attractifs car les conditions de vie y sont plus favorables. On voit s’entremêler progressivement la notion de travailleur et de réfugié climatique.

En Europe par exemple, on estime que 0,61 jour de canicule s’ajoutera chaque année. Certaines zones géographiques de la Grèce, l’Italie et l’Espagne pourraient devenir des repoussoirs. Les entreprises seraient forcées de quitter ces régions, poussées par deux éléments :

  • compétitivité : la chaleur affectant trop la productivité des entreprises, elles devraient se relocaliser pour rester compétitives
  • légale : les risques que font peser le changement climatique en général, et la canicule en particulier (incendies par exemple), conduisent déjà les assurances à se retirer de certains territoires. Sans couverture de leurs risques, les entreprises seront poussées à s’en aller également.

A long-terme, des zones géographiques entières vont devenir des « nomanslands » économiques. A moyen-terme, ce sont les États qui devront intervenir pour garder leurs territoires attractifs malgré des conditions de vie non optimales toute l’année. Dubaï est aujourd’hui déjà un bon exemple de cette artificialisation économique par la réduction des impôts : ce micro-Etat échange son attractivité taxatoire contre la tolérance des entreprises et des individus par rapport à un climat qui est objectivement intenable.

Le problème c’est que le cas de Dubaï est anecdotique. Dubaï peut se permettre de rendre son petit territoire vivable grâce à la manne pétrolière. Il achète son « refroidissement », ce que ne pourront pas faire les autres États. L’Italie, l’Espagne ou la Grèce ne pourront pas refroidir toutes leurs zones les plus méridionales. Leurs finances ne le permettront pas. Elles se substitueront temporairement aux assureurs qui refuseront de couvrir les risques, offriront des incitants financiers après une âpre bagarre avec la Commission Européenne. Mais à la fin, les caisses étant vides, il n’y aura d’autre choix que de détricoter tout ce tissu d’aides et d’abandonner des territoires à eux-mêmes. L’Europe deviendra plus que jamais un continent coupé en deux : le Nord qui restera plus ou moins prospère, et le Sud à l’avenir incertain.

 

 


Publié dans Recherche.