30 novembre 2016 1168 mots, 5 min. de lecture

Vivons-nous dans la matrice ? Quel futur à l’heure de l’intelligence artificielle ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Vivons-nous déjà dans la matrice ? Cette question peut vous sembler étrange. Pourtant deux milliardaires de la Silicon Valley financent secrètement des scientifiques pour trouver un moyen de sortir de la matrice. Ces derniers mois j’ai beaucoup réfléchi à la […]

Vivons-nous déjà dans la matrice ? Cette question peut vous sembler étrange. Pourtant deux milliardaires de la Silicon Valley financent secrètement des scientifiques pour trouver un moyen de sortir de la matrice.
Ces derniers mois j’ai beaucoup réfléchi à la notion de liberté à l’heure des algorithmes et j’aimerais aujourd’hui partager certaines de mes réflexions avec vous.

La Matrice : c’est quoi au juste ?

Faisons un petit retour en arrière et souvenons-nous de cet excellent film de 1999 : The Matrix. Tournons-nous vers Wikipedia pour un bref synopsis:

« The Matrix » est un film de science-fiction 1999 écrit et réalisé par The Wachowskis […] Il décrit un futur dans lequel la réalité perçue par la plupart des humains est en réalité une réalité simulée appelée « la matrice », créée par les machines sensibles pour asservir la population humaine, la chaleur et l’activité électrique de leurs corps étant utilisées comme source d’énergie [pour les machines].

L’Intelligence Artificielle nous asservit-elle ou nous libère-t-elle ?

Dans mon rôle actuel de manager du Big Data au sein d’une entreprise publique, je suis très préoccupé par la valeur que les utilisateurs tirent de la technologie, en particulier des programmes informatiques de plus en plus intelligents: les algorithmes.
Je pense qu’il y a deux types d’algorithmes de nos jours. Les algorithmes qui nous nuisent et d’autres qui nous libèrent. J’ai donné des dizaines de conférences sur le sujet ces 2 dernières années, et les multiples discussions qui ont suivi m’ont aidé à façonner une vision plus claire.

Les algorithmes qui nous nuisent

La plupart des algorithmes de recommandation, par exemple, détruisent une certaine forme de valeur. L’algorithme de recommandation de Netflix en est un bon exemple. Neil Hunt, le Chief Product Officer de Netflix l’a reconnu lors de la conférence RecSys 2014 quand il a affirmé que les algorithmes de Netflix ne pouvaient pas faire la différence entre la promotion d’une vie plus riche et l’addiction. Une addiction, quelle qu’elle soit, n’est jamais positive.
Il en va de même pour les algorithmes qui nous piègent dans une bulle cognitive (« filter bubble » en anglais). Ou des entreprises (comme Google et Facebook) qui nous piègent dans un écosystème encore plus large (une bulle géante qui permet de suivre et de mettre en équation tous nos comportements : conduire, acheter, s’informer, jouer …). Il existe d’innombrables exemples de ces algorithmes malfaisants, ces « Weapons of Math Destruction » comme les appelle Cathy O’Neil (voyez par exemple la présentation d’Evan Estola lors de la conférence RecSys 2016).

Les algorithmes qui nous libèrent

A l’opposé de ses exploitations commerciales, l’intelligence artificielle peut également être mise au service du bien commun. Cette intelligence artificielle changera très probablement à très court terme la façon dont nous vivons et travaillons.
Prenez par exemple les algorithmes utilisés dans le secteur de la médecine. Certaines startups actives dans l’intelligence artificielle (je suis l’une d’elles de très près) travaillent actuellement sur des algorithmes de NLP (Natural Langage Processing) en vue d’analyser les dossiers médicaux des patients et de détecter de nouvelles corrélations entre les symptômes et les médicaments utilisés. La perspective du traitement massif des données médicales est tout simplement incroyable. Dans quelques années, les ordinateurs seront en mesure de proposer la meilleure combinaison possible de médicaments possible pour une pathologie donnée, adaptée au patient. Toutes les capacités de diagnostics humains seront surpassées (ce qui devra amener les médecins à s’interroger sur leur rôle dans une société où des machines « penseront » à la place du praticien).
Ce sur quoi Coursera est en train de travailler est également très inspirant. La question que les ingénieurs se posent est de savoir comment élargir les compétences de leurs utilisateurs en leur proposant des cours qui vont au-delà de leur zone d’intérêt. Comment pousser un data scientist à s’intéresser à psychologie humaine par exemple ? Bien qu’il existe une vision commerciale derrière le projet de Coursera (vendre plus de cours en ligne), j’aime leur vision stratégique. Coursera a compris que le monde change tellement vite que les compétences doivent s’adapter régulièrement et embrasser différents domaines. À l’avenir, trop se spécialiser pourra nuire à votre carrière. Pourtant, quitter sa zone de confort pour rester «employable» est difficile.

Quelle place pour l’Humain à côté des machines cognitives ?

Voilà le plus important. Le progrès et les avancées scientifiques sont nécessaires pour résoudre tous les problèmes que nous avons créés (au rang desquels le dérèglement climatique est celui qui nous menace peut-être le plus). L’intelligence artificielle et en particulier les algorithmes modifieront profondément notre relation au travail, rendant une grande partie de la population redondante et non contributive à cette dernière évolution de la société.
Ma vision de l’avenir de l’humanité est la suivante. Je pense que le progrès algorithmique nous libérera des tâches pour lesquelles, jusqu’à présent, nous « sous performions » (excusez l’anglicisme). Dans ce domaine les avancées seront d’abord l’apanage d’entités commerciales (regardez vers la Silicon Valey) avant que les organismes publics ne se les approprient pour répandre le bien dans la Société. Le temps et les efforts économisés par le remplacement des inefficacités humaines par une automatisation algorithmique permettront de s’atteler à la résolution de problèmes encore trop complexes pour les algorithmes. Il ne faut en effet pas oublier que les algorithmes prédisent en se basant sur le passé. Se limiter au passé pour appréhender l’avenir est une sérieuse limitation. Les algorithmes, contrairement au cerveau humain, ne peuvent pas créer d’innovations de rupture, ces innovations qui changent le cours du monde. Les algorithmes sont dans la continuité. Ils suivent les normes établies par leurs concepteurs.

La créativité sera dans l’ADN des futurs dirigeants

D’un point de vue plus pragmatique et terre-à-terre, je pense que le développement des machines cognitives nous obligera à repenser nos rôles. Je suis également convaincu que le leader de demain verra son ADN largement modifié au cours de la prochaine décennie. Le pouvoir sera transféré à ceux dont la créativité permettra de transcender l’entreprise. Outre les compétences managériales (qui peuvent être acquises à l’école), la créativité et la curiosité seront des compétences clés pour demeurer aptes au travail. Ces compétences seront très recherchées parce que les gens ordinaires, submergés par l’information (l’infobésité), seront encore plus incapables qu’aujourd’hui de maintenir un niveau suffisant de curiosité et de créativité. Ceux qui seront capables de réfléchir largement, de s’extraire d’une certaine façon de la matrice, ceux qui auront accumulé de l’expérience dans un éventail large de secteurs, seront, j’en suis sûr, les champions de demain.



Publié dans Data et IT, Marketing.

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