13 juillet 2016 813 mots, 4 min. de lecture

L’économie de l’attention, garantie d’un monde médiocre

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Nous vivons dans un monde de médiocrité. Nous sommes plus que jamais bombardés par des stimuli de toutes sortes et notre cerveau est sur le point d’exploser. Nous ne sommes plus guère en mesure de nous concentrer sur une tâche […]

Nous vivons dans un monde de médiocrité. Nous sommes plus que jamais bombardés par des stimuli de toutes sortes et notre cerveau est sur le point d’exploser. Nous ne sommes plus guère en mesure de nous concentrer sur une tâche à la fois et passons constamment, de la façon la plus inefficace possible, d’une tâche à l’autre. Quand un sms ou un e-mail arrive, nous ne pouvons résister au réflexe pavlovien de regarder notre smartphone et d’ainsi  ressusciter notre « moi » numérique qui avait disparu quelques instants. La prochaine fois que vous êtes dans une réunion ou que vous donnez un speech, regardez à quelle vitesse les premiers participants saisissent leur téléphone portable. C’est généralement seulement une question de minutes.

Par voie de conséquence l’attention est devenue une ressource très rare que les marques, les commerçants, les annonceurs et les entreprises de toutes sortes essayent de nous voler (c’est l’économie de l’attention). Parce que nous sommes devenus incapables de nous concentrer, la meilleure façon de voler une petite part de cette attention est de nous servir des contenus bas-de-gamme, sans valeur ajoutée, fades et sans saveur. Jetez un peu un œil aux vidéos les plus populaires sur YouTube. C’est une catastrophe. A côté des discours simplistes de Donald Trump, j’ai droit aux vidéos de « LOL cats », une bande-annonce pour le prochain blockbuster américain, une expérience de mentos dans une bouteille de Coca-Cola, … Quel pied !

Rassurez-vous, vous n’aurez pas besoin de réfléchir beaucoup pour regarder ces vidéos. Il est en fait peu probable que vous utilisiez plus d’un neurone pour comprendre ces chefs-d’œuvre.

Parce que notre cerveau et nos sens sont submergés chaque jour par des sollicitations de toutes sortes, ces vidéos remplissent une fonction très importante : elles nous aident à rester « actifs » dans le monde digital tout en économisant nos capacités cognitives Nous devenons des êtres digitaux passifs, en pause dans un monde que nous refusons de quitter pour ne pas mourir numériquement.

Les vidéos ne sont pas le seul type de format qui exploite nos déficiences humaines et notre addiction numérique. Regardez les articles. Les plus populaires sont aussi pauvres en contenu textuel qu’un désert sub-saharien l’est en eau. Par contre les images attirantes pullulent.  En fait, la partie la plus élaborée de ces articles est sans doute leur titre : « Ces 10 footballeurs ont des compagnes vraiment canon », « Ces 5 célébrités ont perdu tout leur argent et sont devenus sans-abri», «vous ne devinerez jamais ce que cet écureuil a trouvé en entrant dans un arbre », …
La dernière once d’attention qu’il nous restait est subtilisée habilement par un titre accrocheur ; des vidéos ou images attirantes finissent alors de nous propulser dans un tourbillon de médiocrité, un trou noir qui aspire avec une efficacité redoutable notre temps. Nous ressortons  de cette lessiveuse intellectuelle avec un QI diminué et la farouche impression de voir notre vie nous échapper.

 

Cette médiocrité a même envahie des réseaux plus professionnels comme Linkedin (ce qui rend mon collègue blogueur Bruno Fridlansky fou de rage): combien de fois les utilisateurs Linkedin voient leur fil envahi par des questions de calcul mental, des photos de chats ou de pandas, des questions simplistes likées et relayées des milliers de fois ?

Ce que je décris est en fait un cercle vicieux. Plus nous consommons cette merde, moins il nous reste d’attention reste pour le reste et moins qualitatifs et instructifs les contenus futurs deviendront.
Avant son décès, l’ancien Premier ministre socialiste français Michel Rocard a donné une interview au Point (un hebdomadaire plutôt marqué à droite). Je reproduis in extenso les premières lignes de son interview :

« Pour diriger une société, il faut comprendre. Or on ne peut plus se comprendre. On va rentrer tous ce soir chez nous et regarder les infos. Il y aura 60% de faits divers. On ne nous donne ni la matière ni le temps pour comprendre. Et la presse écrite se laisse entraîner par l’information continue, la télé, Internet … Le système fonctionne pour le divertissement. Comment, dès lors, comprendre le Moyen-Orient ou la crise économique? Le monde du savoir ne produit plus de connaissances interdisciplinaires, les sociologues ne travaillent pas avec les économistes, qui ont peu ou pas de contact avec les politiques »

Je ne peux pas dire comme s’échapper de ce trou noir. Mais je peux affirmer une chose. Si vous avez lu cet article jusqu’ici, c’est que vous êtes probablement aussi préoccupé que moi et que vous aimeriez que ça change. Commencez par laisser un commentaire.

 



Publié dans Marketing.

1 commentaire

  1. Je lis « commencez par laisser un commentaire »… et je suis le premier 😉
    Je n’ai rien à dire à part que je plussoie ton article.

Donnez votre avis

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *