29 mai 2013 921 mots, 4 min. de lecture Dernière mise à jour : 10 juillet 2023

Évitez de baser vos décisions managériales sur des pseudo arguments scientifiques : l’exemple des fautes d’orthographe

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Mon attention a été récemment attirée par un article répercuté sur Linkedin par une personne de mon réseau. L’article était intitulé «Les fautes d’orthographe font perdre des parts de marché ». Wow .. quand vous lisez un titre comme ça, il […]

Mon attention a été récemment attirée par un article répercuté sur Linkedin par une personne de mon réseau.
L’article était intitulé «Les fautes d’orthographe font perdre des parts de marché ». Wow .. quand vous lisez un titre comme ça, il est difficile de résister à la tentation d’ouvrir le lien et de lire l’article.
Le billet d’Alain Gerlache décrit comment l’orthographe est devenu une compétence que maîtrisent de moins en moins les professionnels; il explique également que les fautes d’orthographe ont une influence sur le professionnalisme perçu de la société. Dans un monde où la concurrence est plus féroce chaque jour, éviter les fautes d’orthographe permettrait d’être mieux perçu par les consommateurs et donc d’augmenter ses chances de faire des affaires.
L’argument essentiel est une étude mentionnée dans un article sur le site BBC ; dans cet article il est fait mention d’une « étude » qui révèle qu’une seule faute d’orthographe serait suffisante pour perdre des parts de marché. Cette « étude » est en fait une déclaration faite par M. Duncombe, un propriétaire de sites d’e-commerce: « il a mesuré les recettes par visiteur sur le site de tightsplease.co.uk et a constaté que le chiffre d’affaires est deux fois plus élevé après qu’une faute d’orthographe a été corrigée. »
Je reste sur ma faim à la lecture de cette « étude » car elle ne prouve rien. À la lumière du working paper récemment publié avec ma collègue Laurence Rosier sur la perception de la politesse, je pense qu’il n’est pas inutile de souligner les différents raccourcis pris dans l’article de la BBC d’abord et dans celui d’Alain Gerlache ensuite.

 

Les fautes d’orthographe influencent en effet les perceptions des consommateurs (mais lesquelles ?)

Il est vrai de dire que les fautes d’orthographe influencent les perceptions des consommateurs. La question est toutefois la suivante: les perceptions des consommateurs sont-elles suffisamment altérées par des fautes d’orthographe au point de modifier leurs habitudes d’achat ? La lecture de la déclaration de M. Duncombe laisse à penser que c’est le cas. Pourtant, M. Ducombe ne fournit pas suffisamment d’informations pour nous convaincre que les fautes d’orthographe, prises isolément, jouent ce rôle. Il se pourrait bien en effet qu’il existe une myriade d’autres facteurs qui, à cause d’une corrélation plus importante, soient le vrai moteur des changements observés par M. Duncombe. En manipulant l’orthographe et en négligeant l’impact d’autres facteurs, Charles Duncombe n’a pas observé le résultat découlant de la justesse ou non de l’orthographe incorrecte, mais simplement d’autres facteurs ayant varié au même moment.

 

Tous les consommateurs remarquent-ils les fautes d’orthographe?

Cet aspect du problème est totalement passé sous silence et malgré nos recherches dans la littérature existante il semblerait qu’aucune étude ne se soit intéressée à ce point crucial : sommes-nous tous égaux quand il s’agit de percevoir les fautes d’orthographe ? Il est raisonnable de dire que les consommateurs ayant un doctorat en grammaire seront plus sensibles à l’orthographe que les personnes n’ayant pas eu la chance de suivre des études secondaires. M. Duncombe ne peut donc conclure sur l’influence des fautes d’orthographe sans contrôler quels sont ses visiteurs et quelle est la sensibilité de l’échantillon par rapport aux fautes d’orthographes.

 

Toutes les fautes d’orthographe ne se valent pas

Toutes les fautes d’orthographe ne se valent pas en matière d’impact global. Najeb et al. (2012) ont conclu dans leurs recherches qu’ « une mauvaise maîtrise de la langue et de l’orthographe conduit à la perception d’un manque de politesse». Certains auteurs ont également montré (comme le souligne d’ailleurs la BBC en citant Ditton) que la communication électronique a modifié la perception de ce qui est acceptable en termes de politesse. Il résulte qu’il doit y avoir également un certain niveau de « tolérance » en ce qui concerne les fautes d’orthographe. Les fautes d’orthographe qui entravent la compréhension globale d’un texte appartiennent sans doute à une catégorie supérieure qui affecte les comportements ; mais il est également raisonnable de dire que certaines fautes d’orthographe demeurent anodines et n’auront pas d’impact significatif sur les comportements des internautes. Sans tester au préalable le niveau de perception de la «gravité» de la faute d’orthographe manipulée, C. Duncombe ne peut donc rien conclure.

 

Conseils pour votre stratégie de marketing

Dans notre société de l’instantanéité, en l’absence de prise de recul, nous sommes devenus trop prompts à réagir après la lecture d’un titre à sensation comme celui qui est proposé ici : « Les fautes d’orthographe font perdre des parts de marché ».

La conclusion est simple à comprendre et l’effet semble si grand que les lecteurs ne peuvent que trouver la motivation de s’intéresser à cette problématique dans l’espoir, sans doute vain, de voir des résultats financiers apparaître. Pourtant, après un examen plus approfondi, l’argument sur lequel tout est basé semble bien faible. Les conclusions sont donc construites sur du sable et tenter d’appliquer aveuglément les quelques conseils prodigués risque de rester une entreprise stérile. Comme le suggéraient plusieurs lecteurs peu amènes dans leurs commentaires, on dirait que certaines personnes ont intérêt à voir émerger une passion soudaine pour l’orthographe en entreprise.



Publié dans Recherche, Stratégie.

4 commentaires

  1. Je n’ai certes pas de doctorat en grammaire… et ne remarque pas toutes les fautes d’orthographe !
    Mais si il y en a une qui me saute aux yeux, je me demande si le contrôle qualité du produit/service est du même niveau que celui de la communication.

  2. Je rejoins complètement Florence. Les fautes d’orthographe vous discréditent également surtout lorsque vous venez de terminer un entretien téléphonique et que vous souhaitez apporter des précisions par mail. Si votre texte n’est pas à la hauteur de l’image commerciale que vous vous êtes appliqué à donner au téléphone, il est fort probable que votre interlocuteur ne donnera pas suite. C’est une réalité. C’est un gage de qualité et de sérieux il me semble. Alors, raccourci ou non, toujours est il que mon interlocuteur perdra la confiance que j’étais prêt à lui donner au téléphone. De même, si l’on considère une vidéo comme un moyen de communication, tout comme peut l’être le langage écrit, un texte avec des fautes me fait exactement le même effet qu’une mauvaise vidéo sur Youtube où l’image se retrouve floutée ou interrompue toutes les 10s. Nous ne sommes pas tous égaux effectivement devant l’orthographe mais pourquoi niveler vers le bas et déconsidérer ce moyen de communication. Il faut arrêter de banaliser les fautes d’orthographe et laisser croire aux jeunes qui arrivent sur le marché que cela n’a aucune conséquence !! N’oubliez pas que les Directeurs dans la majorité des PME et grands groupes sont majoritairement des quadras et que l’orthographe compte pour eux. C’est une valeur pédagogique qui vient tout droit de leur scolarité. Cela devient par la suite, une marque de respect et de politesse envers l’autre. Enfin, pour ceux qui sont à l’international, ce sont bientôt nos voisins européens qui vont finir par corriger nos fautes, je pense aux allemands notamment qui ont un excellent niveau de français….

  3. Merci pour cette réaction. Il reste néanmoins que le monde dans lequel nous vivons va de plus en plus vite et que les normes en matière de tolérance aux fautes d’orthographe changent. Malheureusement force est de constater que la mauvaise maîtrise de l’orthographe par les nouvelles générations a tendance à tirer le tout vers le bas, ce qui laisse un boulevard à ceux et celles qui peuvent se distinguer par une orthographe irréprochable.

  4. Pour répondre à cet article très intéressant, il faut voir le problème sous un autre angle. Je prends l’exemple d’une visite cet été à la cathédrale de Bayonne, de superbes beaux pupitres explicatifs des tableaux ou des vitraux étaient disposés autour du chœur et je me suis approché du premier afin de lire les explications. Deuxième ligne, je lis: « tel qu’il est apparut ». Cela m’a fait presque bondir, non pas à cause de la faute en tant que telle – une énormité – mais surtout à cause du fait qu’on ait pu laisser passer une telle erreur jusqu’à la pose finale de ces pupitres. Que celui qui a écrit le texte ne s’en aperçoive pas, soit, mais que personne chez l’éditeur ou le graphiste qui a composé ces pupitres ne s’en aperçoive me chagrine beaucoup plus. n’existe-t-il pas des « bons à tirer » à faire vérifier avant travaux, surtout pour des pièces d’une valeur certaine ? Certes peu de personnes verront cette erreur en défilant dans la cathédrale, mais si j’étais le client d’une telle entreprise, je ne sais si j’y retournerais. J’ai eu la même expérience un jour avec un affichage dans le métro parisien d’une pub pour des cours d’anglais et sur le net, c’est un Canadien qui avait remarqué cette énorme faute également. J’avais appelé l’école en question et leur en avais parlé. Ils ne s’en étaient aperçus qu’après collage et devaient tout faire refaire.
    Je n’ai pas Bac + 10 non plus, mais suis d’un âge où l’on voit ce genre de fautes parce qu’on a eu un bon enseignement dès la primaire. Chez les quadras et plus, l’importance de l’orthographe a, je pense, plus d’impact qu’on peut le penser.

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