27 octobre 2023 1395 mots, 6 min. de lecture

Études de marché : quand faut-il faire participer vos clients ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Vos clients peuvent participer activement au développement de nouveaux produits ou services. C'est le principe de la co-création. Mais il faut les faire participer au bon moment pour ne pas que le processus échoue. Nous vous donnons les clés de compréhension dans cet article.

Il y a quelques années, un mot était dans la bouche de tous les managers : la co-création. Cette approche venait compléter la palette des outils d’études de marché et ambitionnait de développer de nouveaux produits avec les clients. Certaines entreprises se sont lancées à corps perdu dans des opérations qui relevaient tout autant de la communication que du marketing. Au final il faut s’interroger sur le bilan et se demander si la participation active des clients au développement de nouveaux produits et services est toujours souhaitable. Dans cet article nous tirons les conclusions de plusieurs initiatives de co-création, et replaçons la participation des clients dans une approche globale de l’étude de marché.

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Les idées principales en 30 secondes

  • La participation active des clients au développement ex nihilo d’un produit/service reste rare. Elle est surtout mise en Å“uvre dans le cas du design thinking.
  • Le bilan des initiatives online de co-création n’est pas forcément positif en ce qui concerne la création de produit disruptifs.
  • La participation active des clients peut avoir du sens :
    • Pour tester l’adéquation d’un produit / service existant avec un nouveau segment de marché. Les méthodes qualitatives (interviews, focus groups) sont alors adéquates.
    • En fin de développement, pour détecter les potentiels défauts d’un prototype. Il est alors utile de mobiliser un grand nombre d’utilisateurs et de recueillir les avis sous forme d’enquête quantitative online.

Plateformes de co-création : quel est le bilan ?

Des plateformes ont émergé ici et là pour rendre possible la co-création à moindre coût. Pourtant, la co-création était tout sauf nouvelle. Eric Von Hippel, actuellement Professeur au MIT, avait déjà impliqué des utilisateurs professionnels dans le cadre de sa méthode dite des « lead-users » dans les années 80 et 90 pour développer de nouveaux produits.

MyStarbucksIdea

En 2011, Starbucks avait lancé sa plateforme de cocréation MyStarbucksIdea. Cette initiative avait permis de mettre en Å“uvre 150 idées sur 116100 soumissions. Malgré l’échec opérationnel cela fut un grand succès de communication. Les idées étaient loin d’être révolutionnaires. En voici quelques-unes: proposer une gaufre au caramel avec le café, proposer un plat végétarien à emporter, un terminal mobile de paiement pour Android, un nouveau thé zéro calorie en bouteille, … 48 personnes s’occupaient de ce programme à temps plein et j’avais calculé à l’époque que chaque idée implémentée avait coûté 12249$ en frais de personnel pour gérer la plateforme de cocréation.

homepage mystarbucksidea

Page d’accueil de MyStarbucksIdea (2011), une plateforme de cocréation qui incitait les clients de Starbucks à déposer leurs idées de nouveaux produits et de nouveaux services.

Netflix

Il a fallu à Netflix 3 ans pour trouver un gagnant à son concours du meilleur algorithme de recommandation. Cette compétition entre geeks a finalement livré une solution qui n’a pas pu être mise en œuvre. Pourtant, une fois de plus, ce concours a été un modèle en matière de communication et a fait de Netflix l’une des sociétés technologiques les plus attrayantes. Elle était également la seule entreprise de streaming vraiment rentable, ce qui lui confère un vrai avantage en termes de pricing (c’est ce que l’on appelle le « pricing power »).


Avec tant d’intelligence collective, comment est-il encore possible d’échouer ?

De nombreuses entreprises ont du mal à collaborer avec leurs clients. L’utilisation de l’intelligence collective est une difficulté pour la plupart des entreprises. Rien d’étonnant à cela puisqu’il faut déjà faire beaucoup d’efforts pour faire collaborer les employés entre eux. Alors, collaborer avec les clients, pensez donc ! Les entreprises les moins « customer-centric » sont à la peine.

Dans l’ensemble, les études montrent que les limites de la collaboration avec les clients pour le développement de nouveaux produits sont les suivantes :

  • Manque d’idées créatives
  • Impossibilité d’expliciter clairement les besoins
  • Manque d’alignement entre les objectifs de la direction / de l’entreprise et les intérêts exprimés par les clients

Plus précisément, 4 facteurs ont été mis en avant qui expliquent le lien existant entre participation du client et performance du produit co-développé (Chang et Taylor 2016):

  • Des facteurs contextuels
  • Le mode de participation des clients
  • Des facteurs relationnels
  • Des facteurs organisationnels

Bien entendu il existe des méthodes comme le design thinking pour faire mettre un cadre rigoureux au processus de co-création. Il reste néanmoins qu’aussi encadré le processus soit-il, les résultats de l’exercice peuvent ne pas correspondre aux objectifs de l’entreprise. Il faut ici se rendre compte qu’une proportion importante des études de marché qui sont réalisées visent avant tout à rassurer l’entreprise sur une orientation qui a déjà été prise. C’est tout à fait paradoxal mais c’est la réalité.

Quand faut-il collaborer avec les clients ?

Cela peut paraître contre-intuitif mais il semble que ce sont les industries « low tech » qui bénéficient le plus d’une démarche collaborative dans le processus d’innovation produit. Elles en bénéficient plus en tout cas que les entreprises actives dans les hautes technologies (Chang and Taylor 2016).

En matière de timing, il faut également bien évaluer le moment opportun pour collaborer avec ses clients. Là encore les études scientifiques ont montré que les bénéfices d’une approche collaborative étaient plus élevés dans la phase initiale (« idéation») ou en toute toute fin du développement d’un nouveau produit. Faire intervenir ses clients en cours de développement nuit à la performance.

Ceci nous amène à parler de méthodologie d’étude de marché et de la place de l’idéation dans le processus global.

Quand faire participer activement les clients à votre étude de marché ?

La méthodologie d’étude de marché que nous avons développée (voir infographie ci-dessus) suit les conseils des études scientifiques en ce qui concerne la participation des clients. Dans la plupart des cas, cette participation initiale ne sera pas utile. Il existe en effet deux grands types d’études de marché. Le premier correspond à environ 2% des demandes que nous recevons au sein de notre cabinet d’études de marché. Le second représente 98% des demandes.

Cas le plus rare : au début du parcours de développement

Dans de rares cas, l’étude de marché va adopter une démarche qu’on pourrait qualifier de « à partir d’une feuille blanche ». Lorsqu’une entreprise veut révolutionner son domaine et créer par exemple une nouvelle expérience client, elle peut choisir d’explorer tous les chemins possibles sans tenir compte de l’existant. Dans ce cas, il est utile d’adopter une démarche participative avec des clients afin de générer des idées nouvelles. Une approche de type « design thinking » permet de structurer cette démarche créative.

Cas le plus courant : à la fin du développement

Le cas le plus courant reste cependant celui du recueil du feedback client basé sur un vrai produit ou service. Le but de ce type d’étude de marché peut avoir pour but :

  • De vérifier l’adéquation d’un produit / service à un nouveau marché (nouveau segment, nouveau marché étranger)
  • Améliorer un produit existant en en détectant les faiblesses
  • Améliorer un prototype avant sa mise sur le marché

Les outils classiques d’étude de marché (entretiens qualitatifs, focus groups, sondage en ligne) permettent alors, seuls ou combinés, de répondre aux demandes du client.

Conclusion

En conclusion, la co-création est synonyme de participation active des clients au développement ex nihilo de produits et services. Les plateformes de co-création online se sont révélées de très bons outils marketing. Mais leur bilan en termes de création de produits novateurs peut être questionné.
Il n’en reste pas moins que la participation active des clients peut être nécessaire dans 2 cas de figure :

  • Pour inventer un nouveau produit / service dans le cadre du design thinking
  • Pour donner leur avis sur un produit / service déjà développé ou un prototype


Publié dans Recherche.

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