13 mai 2020 1309 mots, 6 min. de lecture Dernière mise à jour : 13 mai 2020

Étude marketing qualitative : utiliser les sens en recherche participative

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
 Toute étude marketing vise à atteindre l’objectivité. C’est le cas bien entendu des méthodes quantitatives mais également des méthodes de recherche qualitative. Dans l’article d’aujourd’hui nous vous faisons découvrir une étude qui montre pourquoi il est nécessaire de faire […]

Toute étude marketing vise à atteindre l’objectivité. C’est le cas bien entendu des méthodes quantitatives mais également des méthodes de recherche qualitative. Dans l’article d’aujourd’hui nous vous faisons découvrir une étude qui montre pourquoi il est nécessaire de faire intervenir ses sens en recherche qualitative.
Son auteur, Brian McDonough, défend la vision d’une recherche qualitative participative. Le cas d’étude qu’il utilise (interview d’un pilote d’avion) permet de comprendre comment la participation active du chercheur lui a permis de mieux comprendre le monde de la personne interviewée. Cette étude permet de mettre en lumière les limites que les interviews classiques, conduites sur la base d’un guide d’entretien, peuvent présenter. Nous avons réalisé un podcast (en anglais) avec Brian que vous retrouverez en tête de cet article. Vous retrouverez également à la fin de cet article les questions que nous lui avons posées ainsi que sa réponse (sous forme d’extrait d’audio) pour chacune d’entre elles.

A retenir

Dans certains cas une recherche qualitative participative permet de mieux saisir les propos et le monde des répondants. L’objectivité de la recherche qualitative ne passe pas forcément par une distanciation à tout prix du sujet d’étude.

Sommaire

Cas d’étude : l’étude qualitative de l’expertise d’un pilote de ligne

L’objet de l’étude marketing était de comprendre l’utilisation des outils technologiques dans le cadre du travail. Pour cette étude Brian McDonough a choisi de s’intéresser au secteur de l’aviation et a suivi un pilote de ligne dans son utilisation quotidienne des instruments de contrôle d’un avion. Dans son étude il explique comment il a été très vite confronté à une difficulté méthodologique qui a entraîné une frustration palpable lors des interviews. Le pilote n’était en effet pas capable de verbaliser son expertise. Les mots employés pendant l’interview ont commencé à devenir moins précis comme en témoigne le passage ci-dessous :

Quand vous êtes en approche, ce sera ce genre d’angle. Vous allez entendre cette quantité de bruit qui sortira des moteurs. Vous pourrez voir que les instruments des moteurs vous donneront ce genre d’indications.

When you’re at an approach it’s going to be that sort of angle. You’re going to listen to that much sound that will be coming out of the engines. You can see that the engine instruments are going to be in that sort of mark.

Il n’était dès lors pas possible de comprendre précisément ce que signifiait le terme « expertise » dans le cas d’un pilote de ligne. Les méthodes classiques d’interview qualitatives montraient leurs limites. Une analyse sémantique, devant l’imprécision des termes employés, aurait conclu à l’absence d’expertise du pilote. Mais il n’en était rien puisque le pilote démontrait son expertise dans l’acte même de faire voler un avion. Une autre approche méthodologique était nécessaire.

Il ne faut pas seulement écouter ce qui est dit, mais aussi ressentir ce que cela donne.

Utilisation d’une méthodologie qualitative basée sur les sens

Dans son article Brian se pose la question explicitement : « Comment pourrais-je donner un sens à l’aptitude du pilote à faire voler un avion en ne l’interrogeant que chez lui ? Je me suis donc tourné vers les méthodes participatives, et en particulier vers l’approche méthodologique sensorielle » (How could I make sense of the Pilot’s ability to fly an aeroplane whilst only interviewing him inside his home? I turned to participatory methods, and in particular, sensory research methodology).

Il décrit ensuite comment il s’est immiscé dans la pratique du pilote en l’accompagnant d’abord sur un aérodrome, en volant ensuite avec lui pour finalement prendre lui-même les commandes afin de ressentir les sensations que son répondant avait tant de mal à décrire. Passer d’un mode non-participatif à participatif a donné permis à Brian de « comprendre » l’univers du pilote.
L’analyse sémantique permet de bien saisir la différence entre l’approche participative et non-participative. Le pilote, en guidant Brian, fait le lien avec les sensations ressenties. Il objective, grâce aux sensations ressenties par le chercheur qualitatif, sa pensée et démontre son expérience :

Le pilote ne se contente pas de me dire comment c’est (« Maintenant, tu vas redresser le nez »), mais il me demande ce que je ressens (« Tu vois comme c’est peu ? »). Ainsi, j’apprends qu’il ne faut pas seulement écouter ce qui est dit, mais aussi ressentir ce que cela donne. Les données sensorielles sont une richesse qui permet à la compréhension de s’installer grâce à l’expérience.

The Pilot is not just telling me how it is (‘Now you are going nose up’) but he is asking me how it feels (‘See how little it is?’). Here, I developed an opportunity for knowing that did not only require listening to what was said, but feeling how it felt. Sensorial data is a rich resource allowing understanding to permeate through experience.

Conseils pour votre recherche qualitative

L’étude menée par Brian McDonough montre de manière très claire qu’une approche participative de la recherche qualitative est parfois nécessaire. Les mots utilisés, la sémantique employée par les répondants, peuvent être autant d’indices pour le chercheur qualitatif qu’une transition vers une approche participative est nécessaire. Les difficultés que peut avoir un répondant pour « verbaliser » ses pensées doivent vous mettre la puce à l’oreille. Parfois, il faut savoir « aider » les répondants. Le chercheur qualitatif est un catalyseur de la parole. Il se doit de la rapporter le plus fidèlement possible mais doit aussi savoir mettre en place des astuces méthodologiques pour permettre à cette parole de prendre tout son sens.

Les questions du podcast

Vous avez écrit un article dans le Journal of Qualitative Research intitulé : « The Hands have it : tactile participation and maximum grip in the aviation sector ». Comment résumeriez-vous cet article pour ceux qui nous écoutent aujourd’hui ?

Vos recherches font de nombreuses références à la phénoménologie et en particulier aux travaux de Merleau-Ponty. Pouvez-vous nous expliquer le rapport avec la recherche qualitative et comment elle vous a inspiré ?

Dans votre recherche, vous soulignez le rôle des sens dans la recherche qualitative, et en particulier ce que vous appelez « haptique ». Pourquoi est-ce important ?

Dans votre article, vous écrivez que « les mains sont les dépositaires de la mémoire ». Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là ?

Dans votre article, vous décrivez les différentes étapes qui vous ont amené à réaliser que l’utilisation de vos mains pour comprendre le monde de la personne interrogée était importante. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez ressenti ce besoin ?

Peut-on dire que vous êtes passé à la recherche participative ?

Il y a une sorte de tension entre la recherche participative et la recherche non participative. Quels sont les avantages de chaque approche selon vous ?

La recherche qualitative consiste également à apporter un regard neuf sur un problème. N’avez-vous pas eu l’impression de perdre ce regard neuf et naïf lorsque vous vous êtes lancé dans la recherche participative ?

Ne pensez-vous pas que l’objectivité se gagne par la distance avec le sujet ? Comment restez-vous objectif dans de telles études, en particulier lorsque vous développez une implication aussi profonde avec le sujet ?

Comment recommanderiez-vous que l’haptique soit appliquée pour aboutir à de meilleures études qualitatives ?



Publié dans Recherche.

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