14 mai 2020 1299 mots, 6 min. de lecture

Mini-cours de Com n°9 : Faire l’humour à plusieurs… l’échangisme du rire

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Dans ce 9ème épisode de la série des mini-cours de Com’, Emmanuel Tourpe nous régale d’une analyse de le fonction du rire en communication. Cette analyse fait bien entendu appel au travail de Bergson qu’Emmanuel a le don de mettre […]

Emmanuel Tourpe

Dans ce 9ème épisode de la série des mini-cours de Com’, Emmanuel Tourpe nous régale d’une analyse de le fonction du rire en communication.

Cette analyse fait bien entendu appel au travail de Bergson qu’Emmanuel a le don de mettre à la portée de tous.

 

 


Mini-cours de Com n°9

Faire l’humour à plusieurs… l’échangisme du rire

Pourquoi le rire est-il communicatif – comme l’ennui d’ailleurs ? Tout le monde a vu le Nom de la Rose – et connaît le secret qu’abritait la grande bibliothèque partie en fumée et le mobile des crimes dans le monastère : on voulait dissimuler un « traité sur le rire » d’Aristote, pour préserver les âmes pieuses de tout divertissement.

S’il est vrai que le vieux penseur grec faisait du rire le propre de l’homme (l’homme est le seul animal qui rit ») ce n’est pas lui, mais un grand philosophe français qui l’ écrit bien plus tard. Henri Bergson – objectivement pas un comique – s’est en effet penché en 1900 sur les causes du rire – dans un ouvrage au titre longuement mûri et qui a dû lui prendre du temps à trouver : « Le Rire » ! Bon en vrai il y avait un sous-titre un peu plus recherché : « Essai sur la signification du comique ». Ce qui ne donne tout de même pas envie d’inviter Monsieur Bergson pour animer une fête de famille. Mais soit. En passant : prononcer [Bergsonne], qui rime avec bonne, pas [Bergson] qui rime thon.

Il y a pas mal d’idées dans ce livre qui pour faire franc ne déridera personne. C’est même assez glaçant : « le rire est une anesthésie du cÅ“ur ». Gulp. « C’est une brimade sociale ». Re-gulp. On sent que chez les Bergson il n’y avait pas de blagues à toto au dîner. Mais à côté de ce jugement très négatif, Bergson a une idée très intéressante : nous faire rire quelque chose qui introduit que chose de mécanique dans la vie. Bon là non plus ce n’est pas très sympa pour tous les Brice de Nice et autres comiques : l’idée est que le rire est provoqué une sorte de mise à mort du vivant, un côté automatique qui contrecarre.

Exemple : machin avance dans la rue ne glisse sur un peau de banane. Ça fait rire les badauds parce que notre homme perd sa qualité d’homme. Il ne contrôle plus la situation, n’avance plus à sa guise, quelque chose qui lui échappe se produit contre quoi il ne peut rien faire : il glisse automatiquement, chute lourdement. Plus rien de son intelligence, de sa liberté, de sa vie d’homme n’a plus cours. Quelque chose du pantin a remplacé le marcheur.

C’est une vision très sombre de l’humour que nous donne Bergson – mais n’oublions pas qu’il écrit à la même époque où Baudelaire écrit que tout rire vient de Satan. Bigre. On comprend pourquoi on l’appelle la Belle Époque et pas l’Ère de la rigolade.

Beaucoup plus drôle était Thomas More, (+ 1535) dont les mots d’esprits et les calembours célèbres ne firent pas rire le roi qui lui coupa net la chique en même temps que la tête. Voici sa célèbre prière : « Donne moi une bonne digestion, Seigneur, et aussi quelque chose à digérer. Seigneur, donne moi l’humour pour que je tire quelque bonheur de cette vie et en fasse profiter les autres ». Il y a en effet une dimension largement positive au rire. Et même un des fondements de la communication. C’est pour cela que le rire est communicatif.

Henri Bergson

On rit de bon cÅ“ur car, contrairement à ce que dit Bergson, l’humour ne vise pas uniquement l’intelligence, et n’a rien par nature de méchant. Socrate en avait même fait un instrument d’éveil à soi-même à travers sa célèbre ironie. Pour Kierkegaard qui s’en inspire, il n’y même aucune existence possible sans ironie et sans humour : « qui n’ose, à tout instant, soumettre son sérieux à l’épreuve de la moquerie, est le vrai sot, le vrai comique ». Le poète Jean Grosjean va même écrire un très beau recueil intitulé « L’ironie christique », preuve s’il en est qu’on peut rire en haute sphère si Jésus lui-même peut rire (l’évangile est d’ailleurs pleine de blagounettes comme celle -ci : ‘il sera plus difficile à un riche d’entrer au Royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille » – authentique !).

Qu’est-ce donc alors qui nous fait rire et qui est si communicatif dans le rire ? La réponse est probablement inverse de celle donnée par Bergson. Elle été donnée un auteur oublié appelé Auguste Penjon en 1893 : « Cette brusque intervention qui bouscule l’ordre et introduit un pur jeu là où le sérieux se croyait sûr de durer, voilà, si je ne me trompe, où trouver la source profonde du rire ». Nous rions parce qu’il se produit un événement, quelque chose qui vient perturber le cours des choses. Une anormalité qui tout d’un coup attire notre attention et nous sort de la routine. Le premier ressort du rire c’est la surprise, proche parente de l’émerveillement. L’être anodin s’estompe, quelque chose de neuf et qui brusque tout surgit. Il ya de la joie à voir de la beauté. Il y a du rire à voir de la surprise. Les deux sont un arrachement au flux des choses, et viennent provoquer la joie.

Comme la beauté, qui est rayonnante, cette surprise est communicative. Nous communions dans cette suspension du quotidien. Nous échangeons notre bonheur. Nous ne sommes plus des individus isolés mais soudainement notre nature faite de réciprocité, d’être ensemble, surgit. L’inattendu partagé : telle est l’essence du rire.

Pour le meilleur et pour le pire ! Plus la surprise est pleine d’esprit, plus la communion d’humour sera haute; plus la surprise sera vulgaire, plus l’échange sera vil. Il y a ce dialogue très fin dans le film Ridicule où le roi demande à un aristocrate pour tester son humour : « Faites donc un trait d’esprit au sujet de ma Personne » – « Sire, le Roi n’est pas un Sujet ». La finesse de l’humour s’accroît à proportion que la surprise est tissée d’esprit, que l’esprit se révèle lui même comme événement, nouveauté. La communauté de rire est plus profonde à mesure que la raison de rire est plus spirituelle. Entre les blagues de potaches et des saillies à la Desproges, il y a un univers qui est mesuré par l’esprit des communauté d’humour que l’élévation d’esprit distingue.

Voilà donc exactement ce que l’humour révèle de la communication : elle a son fondement dans une communion et un échange; elle grandit et s’approfondit à mesure que l’on est réunit par l’étonnement, l’émerveillement, la surprise qu’il y ait de l’être et non pas rien, de l’esprit et de non pas de la simple matière. La nature la plus profonde de la communication est métaphysique – elle nous place, avec le rire mais aussi avec la beauté, devant les plus grandes questions de l »existence.

Le rire est communicatif car il est communion. – pour le meilleur et pour le pire. « Au commencement est la communion » (Maurice Nédoncelle ) – qui sait s’il n’y pas en Dieu un immense rire éternel, une histoire d’humour infinie faite de surprises entre les Personnes éternelles (Hans Urs von Baltasar) ?….



Publié dans Divers.

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