27 mai 2019 920 mots, 4 min. de lecture Dernière mise à jour : 18 mars 2021

Amazon veut changer le paysage concurrentiel dans la logistique

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Dès 2014 nous avions annoncé qu’Amazon allait devenir un concurrent des entreprises de livraisons classiques telles que DHL et Fedex. Les 5 dernières années nous ont donné raison. Après avoir lancé son réseau de consignes automatiques Amazon met une pression […]

Dès 2014 nous avions annoncé qu’Amazon allait devenir un concurrent des entreprises de livraisons classiques telles que DHL et Fedex. Les 5 dernières années nous ont donné raison.
Après avoir lancé son réseau de consignes automatiques Amazon met une pression supplémentaire sur ses fournisseurs en incitant ses propres employés à devenir concurrents de DHL, Fedex et autres UPS à travers son programme « Delivery Service Partner ». Amazon offre en effet une prime de 10000€ à ses salariés, 3 mois de salaire et la garantie de commandes à tous les employés qui quitteraient l’entreprise pour fonder une entreprise de livraison. Dans l’article d’aujourd’hui nous vous proposons d’analyser cette annonce à l’aune du canevas des 5 forces de Porter, une méthode d’analyse concurrentielle bien utile.

Extrait de la brochure d’Amazon sur son programme « Delivery Service Partner »

Les 5 forces de Porter

Le canevas des 5 forces, inventé par Michael Porter, est un outil très pratique pour étudier la dynamique concurrentielle sur un marché. Pour une discussion en profondeur nous vous renvoyons vers la partie « analyse de la concurrence » de notre guide online de l’étude de marché. Pour les plus pressés d’entre vous, nous vous mettons ci-dessous quelques slides issus de notre cours sur l’étude de marché et disponibles sur slideshare.

Analyse de la concurrence

Procédons donc de manière systématique en analysant l’effet de l’annonce d’amazone.

Menace des nouveaux entrants

La position hégémonique d’Amazon dans le e-commerce lui permet de ne pas craindre la menace des nouveaux entrants. Amazon ne dispose certes pas d’une position de leader dans tous les pays mais il est ici question des nouveaux entrants et ceux-ci ne sont dès lors pas dangereux.

Menace de substituts

Si les substituts sont nombreux (commerce de proximité, autres sites de e-commerce), la position dominante d’Amazon est très confortable. En France 1 achat online sur 5 passe par Amazon qui est loin devant tous ses concurrents. Rappelons toutefois que la part du e-commerce reste minoritaire dans le chiffre d’affaire total du commerce de détail. Ainsi, en France, le e-commerce représente en 2018 moins de 10% du commerce de détail total.

Concurrence du secteur

L’intensité de la rivalité dans le e-commerce est certes importante mais il faut tenir compte de la position très dominante d’Amazon. En France Amazon détient 2,5 fois plus de parts de marché que son concurrent le plus proche (CDiscount).

Pouvoir de négociation des clients / Pouvoir de négociation des fournisseurs

C’est clairement au niveau du pouvoir de négociation des clients d’une part et de son pendant les fournisseurs d’autre part qu’Amazon veut agir. Nous traitons donc délibérément pouvoir de négociation des fournisseurs et pouvoir de négociation des clients en même temps (alors que normalement il conviendrait de les traiter séparément).
Le marché de l’e-commerce (en tout cas à l’échelle d’Amazon et de ses concurrents directs) ne peut clairement pas être qualifié d’oligopsone (un marché où il y a peu de demandeurs et beaucoup d’offreurs). Et c’est bien là le nÅ“ud du problème et le cÅ“ur de la stratégie d’Amazon.
A l’échelle d’Amazon et de ses concurrents directs, on peut en effet estimer que le marché de l’e-commerce est dominé par quelques acteurs. Par exemple 1/3 des achats online en France sont réalisés auprès de 3 e-marchands : Amazon (20%), CDiscount (8%), VentePrivee.com (3,5%). En face de ces sociétés, il existe également peu de fournisseurs capables de livrer de tels volumes (surtout avec les contraintes temporelles qui s’imposent et qui entraînent un raccourcissement des délais de livraison). Il s’agit des acteurs postaux nationaux (Bpost a par exemple longtemps été le fournisseur d’Amazon pour les livraisons en semaines et Post NL celui des livraisons pendant le weekend) et du trio des sociétés de livraison à l’échelle mondiale (DHL, Fedex, UPS). Tous ces acteurs sont de toute façon très interconnectés et dépendent les uns des autres pour l’un ou l’autre type de service.
La manÅ“uvre d’Amazon vise donc à faire éclore un nouveau type de concurrence afin de réduire le pouvoir de négociation de ses fournisseurs et pouvoir réduire le coût de sa logistique (rappelons que le succès d’Amazon a été bâti sur la livraison gratuite, un concept révolutionnaire il y a 10 ans. Le coût de la livraison doit toutefois bien être payé par quelqu’un. La livraison et les retours gratuits pèsent donc sur la marge opérationnelle d’Amazon qui dit à tout prix garder ces prix sous contrôle pour mieux dominer la concurrence.

Conclusion

La stratégie d’Amazon avec son programme « Delivery Service Partner » est clairement de diminuer le pouvoir de négociation de ses fournisseurs. La lecture des conditions d’adhésion à son programme ne laisse en outre aucun doute sur la dépendance qu’Amazon veut créer entre ses fournisseurs et l’entreprise de Seattle, renforçant ainsi un peu plus son pouvoir de négociation en tant que client. Par les multiples aides opérationnelles offertes pour le leasing des véhicules, les uniformes, le carburant, le matériel, mais également les services. Avec autant de « deals » facilitant le démarrage de l’activité, nul doute que le néo-entrepreneur deviendra lui-même dépendant d’Amazon. Le pouvoir de négociation sera donc inversé.

Image d’illustration : shutterstock



Publié dans Stratégie.

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