24 mars 2017 646 mots, 3 min. de lecture Dernière mise à jour : 7 novembre 2023

Algorithmes de recommandation : le mythe des bulles de filtres s’écroule

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Nous avons déjà parlé à maintes reprises des bulles de filtres (« filter bubble ») sur ce blog, un terme plutôt technique qui décrit l’effet négatif des algorithmes sur notre vie numérique. Pour plus d’informations sur ce sujet nous vous […]

Nous avons déjà parlé à maintes reprises des bulles de filtres (« filter bubble ») sur ce blog, un terme plutôt technique qui décrit l’effet négatif des algorithmes sur notre vie numérique. Pour plus d’informations sur ce sujet nous vous renvoyons à cet article où nous avons traité du sujet en profondeur. L’existence des bulles de filtre est un sujet encore âprement débattu et je voulais compiler tous les résultats d’études scientifiques sur le sujet. Fort heureusement il y en a très peu. Cela devrait toutefois répondre aux demandes récurrentes que je reçois de la part des data scientists et des chercheurs en intelligence artificielle qui m’ont interrogé lors de la conférence Big Data de l’UER cette semaine.

Bien que Pariser (2011) ait fait l’hypothèse de l’existence des bulles de filtres, des résultats contradictoires commencent à s’accumuler qui tendent à démontrer que ces fameuses bulles n’existent pas.
Fait intéressant, Anderson (cité dans Fleder et al., 2008) écrivait il y a maintenant fort longtemps (à l’échelle de l’évolution de l’intelligence artificielle) :

« Le principal effet des filtres [qui font partie des systèmes de recommandation sur les sites web] est d’aider les utilisateurs à passer du monde qu’ils connaissent (« le plus populaire ») au monde qu’ils ne connaissent pas (« les niches ») »(2006, p. 109).

C’est exactement le contraire de l’effet esquissé par Pariser quelques années plus tard (2011). J’ai trouvé cette contradiction interpellante ; assez interpellante pour aller chercher dans la littérature scientifique des confirmations ou infirmations de l’une ou l’autre théorie.

Si vous n’êtes pas versé dans les articles scientifiques, arrêtez-vous ici et retenez que l’existence des bulles cognitives est loin de convaincre la communauté scientifique. Et si la recherche académique vous intéresse, continuez simplement la lecture encore un peu pour connaître les tenants et aboutissants de ce sujet.


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Les preuves scientifiques de l’absence de bulles de filtres

Bakshy, Messing et Adamic (2015) ont mené une recherche sur un échantillon de 10,1 millions d’utilisateurs de Facebook et ont conclu que l’algorithme de recommandation mis en Å“uvre sur Facebook (l’algorithme de Newsfeed) ne conduisait pas à la polarisation des opinions politiques des utilisateurs. En clair, les recommandations faites par l’algorithme de Newsfeed n’enfermaient pas les utilisateurs dans une obédience plutôt qu’une autre. Au contraire.

Flaxman, Goel et Rao (2016) ne trouvèrent que des effets limités en matière de consommation d’actualités politiques (« bien que les mécanismes de bulle filtrante et de chambres d’écho prédisent une augmentation de la ségrégation en ligne, leurs effets globaux sont quelque peu limités »)

Zuiderveen Borgesius et al. (2015) concluent qu’il n’y a pas de risque de bulles de filtration, parce que la technologie en est encore à ses débuts. Les avantages de l’abondance de l’information contrebalancent en grande partie les inconvénients théoriques de la recommandation (la recommandation étant une conséquence directe de l’augmentation de la masse d’information disponible).

Nguyen et al. (2014) ont étudié l’influence d’un système de recommandation sur les choix de films et ont conclu que les recommandations conduisaient en fait à des choix plus larges, à une diversité plus grande. Comme l’écrivent les auteurs de cette étude, « suivre les recommandations diminue le risque d’être enfermé dans une bulle de filtre ».


Conclusion

Malgré l’intérêt accru des médias pour les bulles cognitives, les preuves scientifiques accumulées sur le sujet tendent à prouver que les bulles filtrantes n’existent pas. En tout cas pas dans les contextes qui ont été étudiés. Les effets négatifs des algorithmes, enfermant les consommateurs dans leurs consommations passées, semblent être compensés par l’abondance de contenu en ligne qui aiguise la curiosité des utilisateurs.



Publié dans Recherche.

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