13 août 2014 1075 mots, 5 min. de lecture

Y-a-t-il encore un avenir pour les zones rurales, les villages et les petites villes ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
« Avez-vous des emplois dans votre pays ?« . C’est la question posée par un homme de 40 ans rencontré dans un bar en Italie. La question en soi ne m’a pas surpris. Ce qui m’a surprise, c’est que ce fut la […]

« Avez-vous des emplois dans votre pays ?« . C’est la question posée par un homme de 40 ans rencontré dans un bar en Italie.

La question en soi ne m’a pas surpris. Ce qui m’a surprise, c’est que ce fut la première chose qu’il me demanda après avoir m’avoir salué.

« Avez-vous des emplois dans votre pays ?« . Cette question résonne depuis lors dans ma tête comme un appel d’urgence envoyé par quelqu’un qui a perdu tout espoir.

La situation a commencé à se détériorer bien avant la crise

Ce que l’homme me décrivit était une situation personnelle qui ressemblait peu ou prou à l’évolution de ces 10 dernières années : fermeture des commerces, maisons en vente qui ne trouvent pas d’acheteur, villages se vidant de leurs habitants, industries en faillite. Il avait perdu son emploi et réussissait à survivre avec 800 € par mois. Il s’estimait heureux disait-il, parce qu’il n’avait pas de femme et pas d’enfants et pouvait donc encore vivre décemment avec si peu d’argent.

Il me décrivit les diverses péripéties qu’il avait dû traverser au cours des années, à mesure que les entreprises pour lesquelles il travaillait réduisaient lentement leurs effectifs avant de mettre définitivement la clé sous la porte. Il décrivit également ce que la région était avant que les importations bon marché en provenance de Chine ne commencent à changer la donne. Au final tous les secteurs furent touchés et l’industrie locale se réduisit comme peau de chagrin. Il me donnait l’exemple de Teuco Guzzini, entreprise spécialisée dans les équipements de salle de bains haut-de-gamme (en particulier les baignoires et les jacuzzis) qui est passée de 500 salariés à un peu plus de 100. Malgré une fabrication italienne locale et un positionnement haut-de-gamme elle n’a pas pu résister.

Quel est l’avenir des petites villes et villages

Cette année, quelque chose de nouveau est arrivé dans le village de Potenza Picena où nous passons nos vacances: certains (jeunes) habitants du village ont décidé de quitter le village et d’émigrer en Australie. Comme il y a 100 ans, lorsque les Italiens les plus pauvres quittèrent leur pays à la recherche d’une vie meilleure en Argentine (environ 3 millions d’Italiens entre 1857 et 1940), la même chose se produit à nouveau aujourd’hui. Vous avez peut-être lu l’histoire du village de Gangi, en Sicile, qui vend ses maisons pour 1 € symbolique, laissées à l’abandon après que leurs propriétaires ont quitté le village à la recherche de travail.

Pour ceux qui n’ont pas atteint un niveau avancé dans leurs études, la situation à laquelle ils font face dans les zones rurales semble en effet être dramatique. Les emplois peu qualifiés sont de plus en plus rares et ceux qui ont fait des études fuient la ruralité pour trouver un emploi dans une ville.

Ceci est extrêmement préoccupant ; l’économie dite « locale » ne peut être maintenue à flot de cette façon. Avec une population vieillissante (ceux qui restent au village sont à la retraite) et les plus jeunes partant habiter en ville, les entreprises établies dans les villages et les villes de taille moyenne voient leur marché naturel se contracter. C’est le début d’un cercle vicieux.

A quoi ressemblera le village dans 30 ans ?

Penser à l’avenir de Potenza Picena me fait peur. A quoi doit-on s’attendre dans 20 ou 30 ans ? La plupart de ceux qui sont aujourd’hui à la retraite seront probablement morts. Et les jeunes qui auront obtenu leur diplôme auront quitté le village pour une grande ville afin d’y trouver un emploi. Y-aura-t-il toujours quelqu’un pour y vivre ?

Les entreprises vont continuer de fermer leurs portes, incapables de faire face à la concurrence des pays à bas salaires. Avec la baisse de la population, il sera de moins en moins intéressant pour les commerçants de prendre le risque d’y investir. S’en suivra une énième aggravation de la situation de l’emploi.

Les conséquences seront également désastreuses pour le marché de l’immobilier. Le vieillissement de la génération issue du baby-boom va conduire à un horizon de 20 à 30 ans à la mise sur le marché d’un grand nombre de propriétés dont les occupants seront décédés. L’offre va exploser mais la demande ne suivra pas, conduisant ainsi à une baisse rapide des prix de l’immobilier.

Mon point de vue

Je suis généralement optimiste de nature, mais je dois dire que je suis rentré très pessimiste et un peu abattu de mes vacances estivales. Non seulement ai-je observé une situation préoccupante dans la petite ville de Potenza Picena, mais j’ai vu aussi quelque chose de semblable dans ma ville natale en France. Même taille, mêmes effets. Et je ne vois pas de solution.

La machine (l’économie locale) semble bien être brisée et je n’ai aucune solution pour la réparer.

La seule chose qui pourrait nous sauver serait une augmentation brutale et conséquente des prix du pétrole, ce qui ralentirait l’importation de produits bon marché en provenance des pays à bas salaires. Mais même dans ce scénario (qui n’arrivera pas avant des années, voire des décennies), il faudra une grande quantité d’énergie pour redémarrer l’économie locale. Qui peut d’ailleurs garantir que le savoir-faire des entreprises fermées ne sera pas perdu à jamais ?

Permettez-moi de terminer par une citation du poète français Jacques Prévert.

“Avant, un pauvre pouvait inviter un autre pauvre à manger. Aujourd’hui, personne n’a plus même les moyens d’être pauvre »

La société de consommation aura eu notre peau. Le marketing y est pour quelque chose. En voulant vendre à tout prix des biens de consommation (télévisions géantes, smartphones et autres gadgets dernier cri) au plus grand nombre, les multinationales ont contribué à cette destruction annoncée. Un accord perdant – perdant en somme, où des travailleurs exploités entretiennent le rêve cathodique des chômeurs occidentaux. Ironie de l’histoire, Microsoft offre aux néo-chômeurs (les employés qui acceptent de quitter l’entreprise et de perdre leur emploi) un smartphone « made in China » . Elle est pas belle la vie ?



Publié dans Divers.

1 commentaire

  1. la situation se dévoile ici également lorsqu’on apprend qu’un chômeur isolé est très vite ramené à un revenu de 800€/mois avec lequel il doit disposer d’un moyen de déplacement dans les 60 km autour de chez lui (une voiture, donc), plus honorer les petits tracas quotidiens : loyer, nourriture, énergie et communication puisqu’il faut disposer d’un ordinateur internet.

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