17 avril 2020 1531 mots, 7 min. de lecture

[Podcast] San Hoon Degeimbre place l’humain au cÅ“ur de sa réussite

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
San Hoon Degeimbre est le chef doublement étoilé du restaurant l’Air du Temps. On sait moins qu’il est également à la tête de 5 autres établissements ouverts entre 2015 et 2019. Dans ce podcast enregistré en Février 2020, il livre […]

San Hoon Degeimbre est le chef doublement étoilé du restaurant l’Air du Temps. On sait moins qu’il est également à la tête de 5 autres établissements ouverts entre 2015 et 2019. Dans ce podcast enregistré en Février 2020, il livre sa vision de l’entrepreneuriat et explique comment il parvient à motiver son personnel et à attirer de jeune talents.

Au micro de Pierre-Nicolas Schwab, il retrace son trajet entrepreneurial et explique comment il réussit à gérer 6 établissements tout en gardant une motivation intacte.


La reconnaissance que vous pouvez avoir et que vous pouvez obtenir simplement, c’est celle de vos clients.

San Hoon Degeimbre



La rentabilité dans l’HoReCa

La rentabilité dans le secteur de l’HoReCa (ou CHR en France) est âprement discutée. J’ai d’ailleurs commis un article il y a quelques années qui ne m’a pas attiré que des commentaires positifs. J’affirmais à l’époque que, contrairement aux discours habituels il était possible d’être rentable. C’est donc ce sujet que j’ai abordé en premier avec San Hoon Degeimbre. Sa réponse est limpide et devrait rassurer tous les entrepreneurs du secteur de la restauration :

C’est une question assez complexe. Je pourrais demander « c’est quoi la rentabilité ? ». On existe depuis 22 ans. Ça veut dire que si on est toujours là, on est relativement rentables. On arrive à faire vivre toutes les personnes qui travaillent chez nous [et] en même temps à satisfaire tous les clients aussi qui passent chez nous. L’entreprise, c’est une quarantaine de personnes qui sont tous salariés à temps plein. Cela comprend aussi bien les jardiniers, les personnes qui s’occupent de l’hôtel, que les cuisiniers [et] les personnes en salle. On ne cherche pas à avoir […] des grosses marges. Le tout c’est qu’on puisse avoir suffisamment de rentabilité pour réinvestir dans la société et l’améliorer au quotidien.

De nombreux chefs étoilés se sont diversifiés en « greffant » des business complémentaires autour du restaurant principal. La diversification la plus classique est l’hôtel. Cela peut toutefois aller beaucoup plus loin comme dans le cas de Georges Blanc à Vonnas. George Blanc a construit une offre (« le Village Blanc », voir illustration ci-dessous) avec plusieurs hôtels, plusieurs restaurants, une boutique, une boulangerie.

Compte tenu de la localisation de son restaurant gastronomique, San Hoon Degeimbre voit dans l’hôtel un complément naturel pour attirer la clientèle. Il y voit également un intérêt en termes financiers puisque la rentabilité d’une chambre d’hôtel est bien plus élevée que celle d’un restaurant :

On sait que les chambres d’hôtel sont beaucoup plus rentables qu’un restaurant. Donc, pour parler chiffres, la rentabilité pour un restaurant c’est entre 5 et 10% en moyenne, et pour une chambre, c’est entre 70% et 80%.

La source de la motivation

Être récompensé par les guides culinaires représente tout à la fois une consécration et une pression énorme. Certains chefs n’ont d’ailleurs pas su résister à cette pression. On se souviendra que Bernard Loiseau a commis l’irréparable et que Marc Veyrat a fait un procès au guide Michelin. J’ai interrogé San Hoon Degeimbre sur sa motivation à toujours faire mieux. Sa réponse est empreinte de bon sens mais également d’humilité :

La motivation profonde, quand on fait un métier, n’est pas dans la récompense. Il me semble que [le guide] Michelin c’est comme une récompense. Donc si vous faites un métier, ce n’est pas en vue d’avoir quelque chose en tant que reconnaissance. La reconnaissance que vous pouvez avoir et que vous pouvez obtenir simplement, c’est celle de vos clients. Je suis vraiment épris de mon métier, amoureux de mon métier. L’envie d’échange[r] avec mes clients mais aussi avec les personnes avec qui je travaille, [c’est] ma motivation. Ma passion au quotidien, je l’ai vue évoluer d’abord en tant que cuisinier praticien où je faisais mon métier tous les jours. Mais avec 40 personnes c’est clair que je ne suis plus aujourd’hui cuisinier comme je l’étais avant. Je suis maintenant chef d’entreprise où je dois vraiment être attentif à la problématique humaine et je suis beaucoup plus proche de mes [employés] aujourd’hui que je ne pouvais l’être avant.

Il souligne en particulier la nécessité de garder les pieds sur terre lors des investissements afin de ne pas se retrouver dans des situations inextricables.


On a l’ impression que les chefs étoilés ou les créatifs sont irraisonnables et c’est toute la problématique qu’on peut rencontrer dans le métier d’entrepreneur cartésien et de cuisinier créatif.


Motiver les jeunes pour les métiers manuels

Les aspects humains sont donc au centre de la philosophie managériale de San Hoon Degeimbre. Il souligne en particulier le plaisir de donner du plaisir, la partie émotionnelle du métier. Les spécialistes du marketing parleraient d’expérience client, d’expérience sensorielle. Le discours de San Hoon Degeimbre est plus pragmatique. Il explique :

Un métier manuel c’est un métier de d’émotion. Si vous êtes menuisier, si vous êtes plombier, il faut aimer venir dépanner les gens, aimer les matières. En cuisine il y a encore un aspect beaucoup plus immédiat, c’est que vous faites à manger à quelqu’un et vous voyez tout de suite sur son visage si ça plaît ou pas. C’est pour ça que le métier de cuisinier est très en vogue pour l’instant. […] On aime cuisiner parce qu’on a un retour immédiat. Aujourd’hui, [avec] tout ce qui est informatique, communication, on n’a pas un retour, on n’arrive pas à mesurer le retour. [Ça] reste une certaine limite. Dans notre métier émotionnel c’est quelque chose qu’on a dans l’ immédiat, dans l’ instant.

San Hoon Degeimbre insiste sur la nécessité de parler de la réalité du métier à ceux qui veulent s’y investir. Les résultats ne sont pas immédiats. Les résultats se voient sur le long-terme. Il faut donc de la persévérance et de la résilience pour percer dans ce métier.

Le recrutement et la gestion du personnel étant un des aspects les plus cruciaux du métier, San Hoon indique qu’il faut savoir devancer les attentes de la jeune génération pour la fidéliser au sein des établissements :

On a de plus en plus de difficultés à trouver le personnel adéquat, donc c’est à nous de nous demander pourquoi. Nous sommes des entrepreneurs. Nous devrons entreprendre et créer quelque chose de nouveau. Donc je me dis qu’ils ont besoin de vivre un peu plus avec leurs familles, de voir leurs amis. Ce n’est plus comme avant où on était enchaîné à notre fourneau 7 jours sur 7, donc aujourd’hui les besoins sont tout autres et donc c’est à moi d’anticiper.

C’est sur la base de cette réflexion que les établissements ferment 2 jours entiers + 2 demi-journées par semaine, un avantage de poids dans un métier où on ne compte pas ses heures.

San Hoon Degeimbre l’entrepreneur

A la tête de 6 établissements, la question se pose bien évidemment de la gestion du temps, de la gestion des équipes. L’opportunité d’ouverture n’est pas neuve (bien que la 1ère ouverture n’ait eu lieu « qu’en » 2015). San Hoon révèle dans le podcast qu’il a en fait dit non à une ouverture trop précoce d’un second établissement :

La première fois qu’on m’a proposé d’ouvrir un 2ème établissement, c’était 3 ans après avoir ouvert l’Air du Temps. J’ai dit non parce que je ne me sentais pas prêt à le faire.

La « recette » pour réussir des ouvertures d’établissements satellites réside dans l’humain. Si chaque restaurant garde une trace de ce qui a fait le succès de San Hoon, ils ont également une personnalité propre. Cela tient à la latitude qui est permise par un management astucieux des anciens employés :

On a ouvert la 2ème enseigne en 2015, donc j’ avais déjà 15 ans de métier […] En 15 ans on avait formé des jeunes et des jeunes qui étaient susceptibles aussi de pouvoir avoir cette envie de se diversifier et pas rester toujours dans le même endroit. Donc plutôt que de les garder chez moi et tourner un peu en rond, je leur ai dit « J’ai un nouveau projet, est ce que tu as envie de le porter avec moi ? ». Dans ce cas-là, on investit dans l’humain. Dans les 5 établissements, ce sont 5 anciens. Ce sont des gens qui ont vu l’Air du Temps, ou qui ont connu par capillarité, par un des seconds. Donc tous les établissements sont tenus par des gens qui ont connu l’Air du temps.


Il y a mon esprit, la ligne conductrice qui est gardée, l’âme en tout cas. Après c’est vraiment la personnalité du chef qui va donner la personnalité au restaurant.


Images : shutterstock, Georges Blanc, Air du Temps



Publié dans Entrepreneuriat.

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