19 octobre 2011 844 mots, 4 min. de lecture

Le marketing du vin ressemble-t-il vraiment à ça ?

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Un ami m’a offert une bouteille de vin. Elle était merveilleuse. Merci. Ce qui m’a surpris c’était l’étiquette attachée au col de la bouteille. Cette étiquette annonçait fièrement les 94 points sur 100 attribués à ce vin par Robert Parker […]

Un ami m’a offert une bouteille de vin. Elle était merveilleuse. Merci.

Ce qui m’a surpris c’était l’étiquette attachée au col de la bouteille. Cette étiquette annonçait fièrement les 94 points sur 100 attribués à ce vin par Robert Parker dans le Wine Advocate. Tout le monde sait que Parker fait la pluie et le beau temps mais regardons la réalité en face. Cela n’a que trop duré. Les amateurs de vins furent heureux dans les années 80 de trouver une espèce de référence, un phare dans le brouillard des milliers de vins disponibles sur le marché. Cela leur a permis de limiter les risques de se tromper lorsqu’ils passaient à la caisse (ne chercher pas de jeu de mot, je ne l’ai pas fait exprès). Mais le côté négatif de toute cette affaire est que les vins parkerisés (surtout ceux dans la fourchette 95-100) sont devenus inabordables et ont contribué à l’envolée des prix.

Le temps est venu de réfléchir à de nouveaux standards. Le temps est venu de réinventer la relation entre le consommateur et le vin. Le temps est venu de réinventer la manière même d’acheter du vin. Essayons –enfin- de comprendre ce que les consommateurs (hommes et femmes) recherchent. Je ne crois plus en Parker.

Mon avis :

Le marketing dans l’industrie du vin a été profondément influencé (trop à mon goût) par Robert Parker. Cette industrie est paralysée, engoncée dans un carcan imposé par la gourou américain. Pourtant Parker mérite de passer à la postérité car il a proposé une solution innovante à un problème très humain, celui de l’aversion au risque. Avant d’avoir goûté un vin impossible en effet de savoir si votre achat sera à la hauteur de votre «investissement». Il s’agit d’un risque et l’être humain cherchera naturellement une stratégie pour le réduire ou l’éviter. Robert Parker a eu le génie (conscient ou inconscient) d’en proposer une. De plus dans un contexte d’augmentation des prix après l’ouverture à des marchés émergents comme la Chine, les stratégies de Parker se révélaient encore plus pertinentes (en termes de ROI). Mais cela n’est pas la seule explication au succès du Wine Advocate.

Robert Parker a inventé une échelle sur 100 points qu’il a su rendre crédible. La stratégie qu’il utilisa pour répandre ses idées conduisit elle-même à un renforcement de sa crédibilité. Il refusa ainsi de publier de la publicité dans le Wine Advocate, à l’opposé des pratiques de ses concurrents comme le Wine Spectator. En ne publiant pas de publicité le prix de l’abonnement au Wine Advocate grimpait tellement qu’il devenait réservé à une élite dont les moyens et la quête de l’exclusif renforçaient encore la nécessité d’une stratégie de réduction du risque.

Cette opposition avec l’existant se retrouve également dans l’évènement qui lança sa carrière, c’est-à-dire les vendanges 1982 à Bordeaux qu’il fut le seul à aimer dès le début. S’opposer, lorsque l’opinion se révèle a postériori justifiée, est souvent suivi d’une reconnaissance et c’est bien ce qui arriva à Parker (dans un autre ordre d’idée vous pouvez faire le parallèle avec ce qui arrive à Nouriel Roubini).

Pour finir une des forces de Parker à mon sens est qu’il écrit très bien. Lire ses commentaires sur un vin procure beaucoup de plaisir et le Wine Advocate, malgré l’absence d’images, se lit comme un bon bouquin; encore mieux à vrai dire car le lecteur peut aller picorer des commentaires où bon lui semble et se faire plaisir en imaginant les plaisirs procurés par les notes de cèdre, de petits fruits rouges, en lisant avec délectation les envolés lyriques de Parker les notes confiturées d’abricot et de coing de tel ou tel sauterne. Les commentaires de Parker rendent les bons vins véritablement sexy et désirables comme Apple a su rendre ses produits plus sexy que la concurrence. Il n’y a qu’à lire les commentaires de la concurrence (ceux de la revue du vin de France d’il y a quelques années feront parfaitement l’affaire) pour vous en rendre compte. La recherche par Parker du bon mot, de la tournure de phrase parfaite, relève de l’esthétique et conduit à intellectualiser encore plus le produit.

Revoyons pour finir les variables d’une équation à succès : un outil pour réduire les risques, une stratégie pour rendre cet outil crédible, des commentaires magnifiquement écrits et agréables à lire, les clés de compréhension d’un produit intellectualisé. Tous les ingrédients sont réunis pour faire du vin un produit encore plus statufiant et pour en décupler l’intérêt auprès d’une clientèle en quête d’éclairage, avec les moyens financiers nécessaires et qui cherchent a ne pas gâcher son argent.



Publié dans Marketing.

2 commentaires

  1. Après dégustation le vin à la note de 94 était il bon?

  2. très bon mais est-il possible pour un amateur de comprendre ce que signifie un 94/100 plutôt qu’un 90/100 ? Voilà une question à laquelle réfléchir. L’échelle de Parker rassure certes, mais donne-t-elle du sens à la dégustation ?

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