5 novembre 2009 1061 mots, 5 min. de lecture

La cohérence de l’image des marques de luxe sur Internet

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Je suis allé assister le 22 Octobre 2009 à la journée inaugurale de la formation doctorale en sciences de gestion de l’Université Libre de Bruxelles. Parmi les thèmes abordés, un a plus particulièrement retenu mon attention. Il s’agissait de la […]

Je suis allé assister le 22 Octobre 2009 à la journée inaugurale de la formation doctorale en sciences de gestion de l’Université Libre de Bruxelles.
Parmi les thèmes abordés, un a plus particulièrement retenu mon attention. Il s’agissait de la présentation d’un travail d’Angy Geerts (Université de Mons) et de Nathalie Veg (Université du Mans) sur la cohérence de l’image donnée par les marques de luxe sur Internet.

A. Geerts a commencé par rappeler avec justesse le paradoxe sous-jacent entre luxe et utilisation de l’Internet comme vecteur marketing et publicitaire : Internet s’adresse au plus grand nombre alors que le luxe est par définition réservé à quelques privilégiés.
Il est donc particulièrement intéressant d’étudier les dissymétries pouvant exister entre les valeurs et l’imaginaire, véhiculées par les vecteurs de communication traditionnels (catalogue, boutique…), et les sites web de quelques entreprises du secteur du luxe. Pour ce faire, les business cases de Boucheron, Van Cleef & Arpels, Cartier, Vuitton et Hermès ont été choisis et étudiés grâce à une analyse dite sémiotique qui s’inscrit à mon sens dans la famille plus large de l’ethnométhodologie (l’étude des pratiques discursives dans la sphère du social). Cette méthode consiste à investiguer l’imaginaire et les valeurs d’une marque via le champ sémantique et l’imagerie utilisés.

Je souligne tout de suite le caractère novateur de la méthode qui constitue à mon avis l’intérêt principal de l’étude (au-delà bien entendu du secteur industriel, puisque la méthode peut et mérite d’être transposée à d’autres cas d’étude). Vous pouvez accéder au working paper online et je ne reprendrai donc pas en détail les trouvailles des auteures.
Il me semble par contre intéressant de souligner les conclusions auxquelles elles sont parvenues. En ce qui concerne le secteur de la joaillerie, on note une remarquable cohérence entre les valeurs véhiculées et l’imaginaire créés par les médias traditionnels et par le site Internet de la marque. Van Cleef & Arpels et Cartier appartenant au même groupe (Richemont, celui-là même qui a racheté Lange & Söhne, Jaeger Le Coultre, Mont Blanc…), un troisième cas d’étude (Boucheron) a été choisi comme échantillon de contrôle qui a confirmé les conclusions.
Les surprises sont venues du monde de la maroquinerie où des différences flagrantes ont été relevées dans le cas d’Hermès. Alors que l’imaginaire du voyage de Louis Vuitton est parfaitement transposé dans leur site web, le site d’Hermès est plus brouillon (manque d’unicité et décalage par rapport aux valeurs véhiculées traditionnellement par la marque) et se concentre avec force sur l’e-shopping. Une discussion avec A. Geerts m’apprendra que d’après ses informations (obtenues d’un dirigeant qu’elle a interviewé dans le cadre de son étude) ce décalage est voulu.

Mon avis :

La première chose qui m’interpelle est tout d’abord ce décalage constaté chez Hermès. Bien que le dirigeant consulté affirme que ce décalage est voulu, j’ai du mal à le croire. Hermès a toujours été une maison extrêmement traditionnelle tant dans ses pratiques industrielles que dans son management. Ceci se reflète bien entendu dans les marges, plus de deux fois inférieures si je me souviens bien à celles de Vuitton, mais également dans l’ownership familial alors que tous les autres cas étudiés (à part Boucheron comme échantillon de contrôle) étaient intégrés dans un ensemble plus large grâce auquel des synergies en termes de communication et de marketing sont possibles. Il me semble en effet bien normal d’attendre un tel niveau de cohérence de la part de LVMH.

En ce qui concerne la méthode sémiotique utilisée et malgré son intérêt certain, il m’aurait semblé intéressant de corréler les interprétations avec celles présentes dans l’esprit des consommateurs. Bien que les marketeurs essaient de convoyer des valeurs uniques, leurs tentatives ne peuvent qu’être vaines car leurs messages sont interprétés et intégrés d’autant de manières différentes qu’il y a de prospects. Puisque l’imaginaire est à l’œuvre, une méthode d’interprétation des métaphores (telle que celle développée dans les années 1990 aux Etats-Unis par Richard Kopp) permettrait de juger de l’efficacité des marketeurs et je pense même tout à fait envisageable de s’appuyer sur des collages pour examiner les différences entre valeurs véhiculées et valeurs perçues.

Pour finir sur la ligne directrice de l’étude (le paradoxe entre l’élitisme du luxe et le mass-marketing d’internet), je pense que l’un et l’autre ne sont pas contradictoires. Si on considère l’expérience client globale, Internet ne représente pour moi qu’un gigantesque entonnoir ne laissant filtrer que les marques ou les valeurs auxquelles le client s’identifie (au-delà de la valeur intrinsèque, toute la valeur ajoutée du luxe repose en effet sur des concepts d’identification). Bien qu’une part d’impulsivité intervienne dans l’achat d’un objet de luxe, le cheminement intellectuel et la recherche d’identification et d’identité sont toujours sous-jacents. Cette recherche aboutit par la visite réelle et la contemplation des objets convoités et éventuellement par l’achat. Je souligne éventuellement car pour beaucoup le plaisir de la visite constitue déjà un aboutissement et une fin en soi, non prolongés par l’acte d’achat. Dans ce cadre il me semble que l’étude de A. Geerts et N. Veg est tout à fait pertinente et fondée en ce sens que les valeurs de la marque se doivent d’être parfaitement mises en avant et cohérentes avec la stratégie globale de la marque. Hermès a donc encore des progrès à faire.



Publié dans Marketing, Recherche.

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