25 février 2019 1851 mots, 8 min. de lecture

Hommage à Karl Lagerfeld, artiste hors-pair et génie du marketing

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Karl Lagerfeld nous a quitté. Génie de la mode, il était également un touche-à-tout hors normes, artiste accompli dont les multiples facettes se reflétaient dans ses pratiques artistiques. Un premier paradoxe pour cette homme qui ne se revendiquait pas artiste […]

Karl Lagerfeld nous a quitté. Génie de la mode, il était également un touche-à-tout hors normes, artiste accompli dont les multiples facettes se reflétaient dans ses pratiques artistiques. Un premier paradoxe pour cette homme qui ne se revendiquait pas artiste chez Chanel et qui rappelait que le maintien à son poste du directeur « artistique » dépendait du nombre de sacs vendus. Une manière de rappeler que c’est avant tout le business qui prime avant l’Art.
Karl Lagerfeld a donc consacré une vie de travail à renouveler sans cesse le summum de l’éphémère : la mode. Il déclarait, dans un ultime pied-de-nez à ce monde d’apparences, vouloir léguer sa fortune à son chat. Verrez-vous comme moi dans cette déclaration singulière un geste iconoclaste et moqueur à l’endroit de ceux qui, gonflés par le succès et par le monde de la mode, en étaient arrivés à oublier son caractère léger par essence et la futilité des privilèges -monétaires- dont ils bénéficiaient parfois ?

Si l’héritage créatif de Lagerfeld aux commandes Chanel est immense (qui oserait en douter ?), ce n’est pas sur le Karl créateur de vêtements que j’aimerais aujourd’hui apporter un éclairage (je serais bien incapable de le faire); c’est sur le Karl génie du marketing. En particulier je reviendrai dans cet article sur la warholisation de la mode, sur le masstige et vous apprécierez j’en suis sûr l’infographie que nous avons réalisée sur les défilés Chanel.

Lagerfeld génie du marketing

Comme l’a brillamment montré Benoît Heilbrunn, professeur de marketing à l’ESCP, le marketing n’est pas affaire de logique. Le marketing incorpore une dose de contradictions. Le marketing est contractions. Karl Lagerfeld, par essence homme de contradictions, d’oppositions, avait donc en lui l’ADN d’un marketeur de génie. Comment pourrait-il en être autrement de celui qui était devenue une marque.
Attardons-nous en particulier sur sa capacité à faire sortir la marque Chanel du segment (étriqué) dans lequel il l’avait trouvée lorsqu’il avait rejoint la maison de couture il y a près de 30 ans.

Avant tous les autres, Lagerfeld aura compris le rôle de la mode et des marques de luxe dans la société. Sans doute la proximité de Lagerfeld avec Warhol il y a 40 ans (Lagerfeld a même joué un petit rôle dans le film de Warhol « L’amour » en 1973) aura inspiré ce qu’on pourrait appeler la warholisation de la mode, c’est-à-dire l’extension de la mode à des catégories qui dépassent le segment de l’habillement et la multiplication des déclinaisons de la marque dans différentes catégories de produits. Cette warholisation n’était sans doute pas étrangère à la tendance marketing appelée « Masstige » (ou prestige de masse) à laquelle Lagerfeld avait contribué notamment au travers de sa collaboration avec Macy’s. Comme l’écrit Jean-Noël Kapferer :

« Karl Lagerfeld a compris que la marque de luxe aujourd’hui doit s’exprimer bien au-delà de sa seule spécialité (ici le vêtement, les accessoires, le parfum ou le bijou) ».

Caméléon, la marque de luxe garde son ADN mais se décline de plusieurs façons dans une société en mouvement constant dont les défilés étaient le reflet.

Des défilés à grand spectacle

Si je ne devais retenir qu’une chose de l’oeuvre de Karl Lagerfeld ce serait sans doute ses défilés. Tout autant que ses vêtements, ils ont contribué, pour moi, à forger l’image de  Chanel et le mythe du génie créateur de Lagerfeld. Avec ce dernier, le défilé de mode est entré dans une nouvelle ère. Exercice stéréotypé depuis ses origines, Lagerfeld aura su renouveler son expression. D’un décor neutre pour la mise en valeur des créations de la marque, le défilé est devenu, à la fois un écrin magnifiant les créations, mais aussi (et peut-être surtout) un contexte qui en permettait la lecture. Créations de tissus et déco du défilé entraient en résonance.
En choisissant le Grand Palais comme théâtre de ses créations (le mot « théâtre » est ici choisi à dessein) Lagerfeld a pu faire rentrer le monde extérieur à l’intérieur. Le contexte d’expression de la marque a donc pu y être présenté, constituant de fait une grille de lecture pour les créations du Kaiser. Parmi tous les défilés, celui qui me revient à l’esprit en premier est sans nul doute le Chanel Shopping Center de 2014.
Rares sont les analyses de ce défilé qui vont au-delà du superficiel. Car plutôt que de s’esbaudir, il faut s’interroger. Comment décrire et analyser le Channel Shopping Center ? S’agissait-il d’un énième pied-de-nez du génial Lagerfeld qui évoquait ainsi de manière détournée le masstige et la mode en tant que produit de masse ? Ou d’une illustration de la « popartisation » de la culture ? Ou bien encore, plus prosaïquement, d’une illustration de la perméabilité du luxe dans tous les contextes, même les plus banals comme le propose cet article ?
Année après année Chanel aura relevé la barre, proposant aux fashionistas des défilés toujours plus grandioses. Nous vous en donnons un aperçu dans l’infographie ci-dessous, hommage modeste à celui qui aura su imprimer sa marque à tout un secteur et qui aura sauvé une marque qu’on croyait éteinte.

Les défilés Chanel les plus remarquables

Défilé automne-hiver 2008

Il a plus de 10 ans, Karl Lagerfeld créa un carrousel géant à l’occasion de la présentation de la collection automne-hiver de 2008. Ce fut le début des défilés Made in Karl Lagerfeld, toujours plus spectaculaires et plongeant les invités dans un décor et une atmosphère féérique.

Défilé printemps-été 2010

La collection printemps-été 2010, représentée pendant le défilé sous un thème très champêtre, a transformé le Grand Palais de Paris en botte de foin remplie d’aiguilles lumineuses, ses mannequins.

Défilé automne-hiver 2010

C’est notamment à partir de cette année que la créativité et l’originalité des défilés Chanel ont commencé à devenir une marque de fabrique. Karl Lagerfeld cherche dès lors à aller toujours plus loin, en créant des décors toujours plus inattendus et pointilleux. Pour la collection automne-hiver 2010, la banquise est mise à l’honneur. Le décor tout comme les tenues présentées semblent tout droit venues d’Arctique.

Défilé printemps-été 2012

La collection printemps-été 2012 est quant à elle sous le signe des fonds marins, une expérience de plongée sous-marine inédite. Le décor mouvant dévoile des participants de manière inopinée et reflète une réelle pureté vêtue de blanc.

Défilé anniversaire en 2013

En 2013, à l’occasion du défilé pour les 90 ans de Fendi, célèbre marque de mode italienne, la Fontaine Trevi de Rome, fraîchement rénovée, a vu se dérouler devant elle un défilé des plus impressionnants, avec des modèles les pieds dans l’eau.

Défilé pré-automne 2013

Peu à peu, les tendances s’accélèrent. Alors que deux collections étaient présentées par an, il faut passer à quatre, voire à huit. A l’occasion de la présentation de la collection pré-automne de 2013, le défilé se déroula dans le très célèbre
Linlithgow Palace en Ecosse. Une atmosphère encore jamais vue dans le monde de la haute couture.

Défilé automne 2013

Dans la continuité, la collection automne 2013 est alors présentée aux quelques privilégiés dans un décor post-apocalyptique. Le Grand Palais de Paris est, pour l’occasion, complètement transformé et semble avoir subit un tremblement de terre des plus terribles.

Défilé pré-automne 2014

Amoureux de la nouveauté, Karl Lagerfeld ne s’arrête jamais de découvrir et faire découvrir des univers aux personnes qui le suivent. C’est ainsi que le défilé pré-automnal de 2014 est placé sous le thème de l’Ouest, les Western, le Texas.

Défilé automne-hiver 2014

Le défilé de la collection automne-hiver 2014, marque un tournant d’autant plus marqué pour la haute couture mondiale puisque Karl Lagerfeld ne se contente plus de montrer ses collections dans des décors inédits mais les intègre à des concepts entiers : ici celui d’un centre commercial 100% Chanel, comportant de nombreux articles dérivés de la marque.

Défilé printemps-été 2015

Suivant les mouvements populaires du moment, Karl Lagerfeld propose le défilé printemps-été 2015 dans la ‘rue’ du Grand Palais de Paris, brisant une fois de plus les codes ancestraux de la haute couture.

Défilé automne 2015

Que ce soit avec des mannequins ou des célébrités, le concept de défilé est poussé à l’extrême. C’est le cas pendant la présentation de la collection d’automne 2015 qui semble se déroule en plein milieu d’un casino réputé.

Défilé printemps-été 2016

Le défilé pour la collection printemps-été 2016 annonce la découverte d’une horizon nouvelle. Après la découverte des fonds marins en 2012, Karl Lagerfeld emmène ses invités dans les airs, ou presque, avec un défilé près des bornes d’enregistrement que l’on trouve dans les aéroports.

Défilé automne 2017

Allemand et amoureux de la France, et plus particulièrement de Paris, Karl Lagerfeld rend un très bel hommage à la capitale français pour la présentation de la collection automnale de 2017 en amenant la Tour Eiffel au Grand Palais de Paris.

Défilé automne-hiver 2017

Un an plus tard, Chanel va encore plus loin, à la conquête de l’espace, avec un défilé sous le thème de la découverte spatiale, représentée par une fusée géante en plein milieu du Grand Palais de Paris. C’est ainsi qu’est présentée la collection automne-hiver 2017.

Défilé automne-hiver 2018

Très attaché à l’authenticité et à la nature, Karl Lagerfeld met le défilé automne-hiver 2018 sous le thème d’une balade en forêt. Le Grand Palais de Paris et comme toujours métamorphosé, envahit par les feuilles mortes et l’esprit de la forêt.

Défilé printemps-été 2019

Un de ses derniers défilés, toujours mémorables, a été pour la collection printemps-été 2019. Pour l’occasion, le Grand Palais fut transformé en île paradisiaque, l’île de l’enfance de Karl Lagerfeld, l’île de Sylt. Un décor représentant toute la beauté de cette nature sauvage : le sable blanc, fin, la mer turquoise, presque transparente, et le ponton de bois rustique.

image : shutterstock



Publié dans Marketing.

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