8 janvier 2020 2573 mots, 11 min. de lecture Dernière mise à jour : 27 novembre 2023

Etude de marché : comment réaliser un entretien qualitatif ?

Par Lorène Fauvelle Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Chez IntoTheMinds, nous accordons une importance particulière à l’élaboration d’entretiens qualitatifs, que ce soit des interviews en face-à-face ou des focus group. Ils font partie des clés nécessaires à la réalisation d’une étude de marché complète. Bien entendu, ils doivent […]

Chez IntoTheMinds, nous accordons une importance particulière à l’élaboration d’entretiens qualitatifs, que ce soit des interviews en face-à-face ou des focus group. Ils font partie des clés nécessaires à la réalisation d’une étude de marché complète. Bien entendu, ils doivent s’inscrire dans une méthodologie globale (vous trouverez les détails de cette démarche dans notre guide de l’étude de marché) et être préparés méticuleusement grâce à une étude documentaire (“desk research” en anglais). Cette phase qualitative est essentielle à l’élaboration d’un questionnaire quantitatif de qualité.

Sommaire

Introduction aux différents types d’entretiens

Dans leur ouvrage sur les interviews qualitatives, Ouellet et Mayer (1991) distinguent les entretiens en fonction du degré de liberté octroyé au répondant et au niveau de profondeur de l’échange.

Par degré de liberté, on entend donc le degré de directives (sujet général, thématiques sous-jacentes, questions plus ou moins précises) imposées par l’intervieweur. Le niveau de profondeur est dépendant du sujet et correspond au degré de détails à investiguer. Ces éléments auront, bien évidemment, un impact sur le nombre d’entretiens à mener, leur durée et l’analyse à effectuer par la suite.

Il existe notamment de nombreux types d’interviews

Flick et al., 2004 les divisent ainsi :

Ces deux derniers types d’entretiens sont particulièrement intéressants à détailler puisqu’ils sont principalement utilisés dans le cadre d’études de marché. Nous avons d’ailleurs consacré un article aux questions ouvertes et fermées, aux différences qui les caractérisent ainsi qu’à leurs utilisations.

crédits : Shutterstock

Pour donner des exemples concrets, les questions ouvertes seront destinées à laisser les répondants s’exprimer sur un sujet et une thématique donnés. Dans le cadre d’une étude de satisfaction, ce type de questions sera particulièrement apprécié pour réussir à déceler les points à améliorer par une société. Il s’agira notamment d’utiliser la méthode CIT (Critical Incident Technique, détaillée dans cet article) pour comprendre les expériences et les comportements consommateurs.

A l’inverse, les questions fermées seront principalement utiles pour récolter des réponses tranchées lors de tests produits par exemple.

Les entretiens guidés ou semi-structurés

Ce type d’entretien constitue la base de l’étude qualitative dans les études de marché. Nous nous basons en interne sur ce procédé pour réaliser nos entretiens. En effet, il est essentiel de compiler les thématiques et questions clés relatives à la problématique dégagée par l’entreprise afin de récolter des retours pertinents de la parts des répondants.

Il s’agit donc d’élaborer un guide d’entretien, sur base des conclusions de l’étude documentaire. Comme nous le conseillons (et l’appliquons) pour les questionnaires quantitatifs, les questions impliquant au répondant de « faire effort cognitif » ont plutôt intérêt à se trouver à la fin du guide d’entretien afin de ne pas surcharger le répondant.

Avantages des entretiens semi-structurés Difficultés des entretiens semi-structurés
  • Flexibilité de réponse, d’interprétation, d’approfondissement d’un sujet
  • Personnalisation et retour sur expérience
  • Adaptabilité et réactivité
  • Préparation accrue de l’interviewer (formulations alternatives, explications, propositions de réponses pour aider le répondant)
  • Besoin de réactivité de l’interviewer afin de rebondir sur les propos du répondant
  • Nécessité de garder le cap durant l’interview et ne pas dévier complètement du sujet
  • Ambiguïté et interprétation erronée des questions et/ou des réponses

Comment bien se préparer pour l’interview ?

Flick et al. (2004) mettent en avant l’importance de bien définir au préalable le champ d’action et les thématiques à aborder durant l’entretien. Le niveau de profondeur évoqué précédemment doit également être défini et le cadre et contexte de l’interview et des thématiques doivent être clarifiés afin d’assurer la compréhension et l’interprétation des messages.

Turner, D. W. (2010) détaille les étapes à suivre afin d’assurer la récolte des données nécessaires à l’analyse. Nous avions d’ailleurs également diffusé un guide en 4 étapes pour vous aider à réussir vos entretiens qualitatifs.

crédits : Shutterstock

Choisissez vos répondants

Par exemple, si vous souhaitez vous implanter sur un nouveau marché géographique, il s’agira d’interviewer des personnes habitant et/ou consommant dans cette zone géographique et compatibles à votre persona sur base de l’étude documentaire effectuée en amont. Une étude de satisfaction client devra quant à elle être menée auprès de clients de l’entreprise.

Préparez vos thématiques et questions

Il va sans dire que la neutralité de l’interviewer est de rigueur. En effet, il est essentiel d’éviter tout biais et de ne pas influencer les répondants dans leurs réponses, que ce soit à travers la formulation de questions, l’accord ou désaccord explicite avec un propos (communication verbale) ou à travers des mimiques ou une gestuelle induisant un accord ou désaccord (communication non-verbale).

Exemple :
Ne pensez-vous pas que les OGM sont mauvais pour la santé ?
Quel est votre avis sur les OGM ?

Personnifier les questions est également très important. Cela permet aux répondants de se nourrir de leur expérience pour répondre aux questions. Nous cherchons d’ailleurs à comprendre leur(s) comportement(s) et non pas tester leur(s) connaissance(s) théorique(s).

Exemple :
Qu’est-ce qu’un produit bio ?
Que doit être un produit bio selon vous ?

Il est essentiel de fonctionner avec la méthode de l’entonnoir, c’est-à-dire commencer avec des questions plus générale pour mettre le répondant dans le contexte de l’interview, avant de l’interroger sur des aspects plus détaillés.

Exemple :

  1. Quelles sont vos habitudes alimentaires ?
  2. A quelle fréquence mangez de la viande ?
  3. Où faites-vous vos achats alimentaires ?
  4. Quels facteurs sont sous-jacents à ce choix ?

Soyez flexible et réactif

L’interviewer se doit d’être réactif durant un entretien et de rebondir sur des éléments évoqués par le répondant. Comment faire pour ne rien oublier ? Se préparer. Ainsi, nous vous conseillons de détailler le but des questions, d’ajouter des explications et des formulations alternatives au guide d’entretien afin de pallier toute incompréhension et éviter le syndrome de la page blanche. Les termes et concepts potentiellement ambigus doivent également être détaillés à l’avance pour éviter à l’interviewer de ne pas savoir expliquer ce qu’il veut dire sur le moment même.
Nous vous conseillons également de préparer des pistes de réponses. Il arrive souvent qu’une question ouverte laisse un répondant pantois. Dans ce cas, l’interviewer doit être capable d’aider le répondant en lui ouvrant une porte de réflexion.
Par exemple, si vous demandez à un employé comment la société gère les retours clients et que ce dernier vous répond simplement que cette tâche est dédiée à un service, investiguez plus loin, en lui demandant s’il cette gestion est faite par e-mail ou par téléphone, etc.
Les mises en situation sont également essentielles pour comprendre un répondant, que ce soit pour que ce dernier se souvienne d’une expérience vécue ou se mette dans une situation hypothétique.

Exemple de remise en situation réelle :
Pouvez-vous me décrire comment s’est passée votre première recherche d’emploi ?

Exemple de mise en situation hypothétique :
Supposons que l’on vous propose votre job de rêve à l’autre bout du globe, comment réagiriez-vous?

Qualitative Interview Design_ A Practical Guide for Novice Invest

Testez et adaptez votre guide

Il s’agira de faire le point après que 10 à 15% des interviews ont été menées afin de valider les thématiques abordées, s’assurer que certains champs ne sont pas superflus mais surtout que tous les points clés au succès de la mission soient mentionnés au cours de l’entretien.
Nous ne sommes d’ailleurs pas en reste, malgré nos années d’expérience à mener des études de marché et notamment des entretiens qualitatifs. Nous remettons systématiquement nos guides d’entretien dans leur contexte et les adaptons si les premières interviews révèlent un manque de précisions sur un ou plusieurs thèmes.

Déroulement de l’entretien

En tant qu’interviewer, il vous faudra gérer de nombreux aspects en amont et en aval de l’entretien. Comme la logique le veut, l’interview sera influencée par votre préparation en amont et influencera l’analyse post-interview. Afin d’assurer le bon déroulement d’une interview, quelques règles de savoir-faire mais également de savoir-être sont à suivre.
L’interviewer doit bien entendu être préparé à l’entretien, connaître son sujet (savoir-faire), afin de pouvoir contextualiser l’entretien, comprendre les réponses de son interlocuteur, et être capable de déceler les points clés à approfondir.
Un autre pôle est à prendre en considération méticuleusement : les attitudes (savoir-être). En effet, les chercheurs (Flick et al., 2004 et Ouellet et Mayer, 1991) s’accordent sur leur importance, et notre expertise dans les interviews qualitatives nous le confirme.

Quelles attitudes adopter en tant qu’interviewer ?

  • Créer une atmosphère de confiance, afin que le répondant se sente à l’aise et se livre plus facilement.
  • Être neutre, ouvert d’esprit et empathique, ce qui évitera notamment les biais, tant dans les réponses que dans les interprétations et analyses, et jouera sur l’atmosphère détendue et propice aux confessions.
  • Susciter et maintenir l’intérêt (écoute active) tout en intervenant à des moments convenables, afin de ne pas braquer le répondant.

Bien sûr, cela n’est pas évident et requiert des années d’expérience pour être maîtrisé. Voici toutefois quelques conseils qui vous aideront sans doute :

  • Présentez-vous à votre répondant et remerciez-le d’avoir accepté de dégager du temps pour l’entretien, cela agira comme icebreaker.
  • Expliquez le contexte de l’interview, les enjeux et son déroulement. Si vous enregistrez l’interview (audio et/ou vidéo), il sera impératif de demander l’autorisation de votre interlocuteur. Nous vous conseillons fortement de communiquer ceci avant l’interview si l’enregistrement est indispensable à la suite de l’étude (transcriptions, codage, etc.), cela évitera aux deux parties de perdre du temps. Expliquez au répondant dans quel contexte et dans quelle mesure les enregistrements seront utilisés.
  • Soyez gage de neutralité dans vos communications, verbales et non-verbales (mimiques, gestuelles, rythme) mais également dans votre aspect.
  • Ne soyez pas directif : posez des questions plusieurs fois si nécessaire, en changeant la formulation par exemple, demandez des précisions, rebondissez sur ce que le répondant vient de dire, faites des liens entre les différents propos.
  • L’écoute active, c’est aussi remettre en contexte les propos du répondant. Des formulations comme “Si j’ai bien compris…”, “Corrigez-moi si je me trompe…” vous permettront notamment d’éclaircir certains points, de relancer un sujet essentiel.
  • Personnalisez vos formulations en fonction de votre interlocuteur : vous n’avez pas besoin de lire vos questions mot pour mot, adaptez-vous ! Si la thématique est axée sur la dynamique familiale, et que votre répondant vous parle de ses enfants (Louis et Marie), utilisez ces prénoms également.
  • Aidez le répondant : reformulez vos questions, introduisez un premier élément de réponse pour déclencher la réflexion.
  • N’ayez pas peur des silences, ils sont souvent gage d’un rebondissement.
  • Soyez transparent : si vous souhaitez vérifier que vous n’avez pas oublié une question, il n’y a pas de honte à l’expliquer à votre répondant.
  • En fin d’entretien, nous vous conseillons de toujours demander aux répondants s’ils pensent que tous les aspects liés au sujet ont été couverts, s’ils ont des suggestions ou des questions.
  • Nous ne sommes jamais à l’abri d’avoir omis une sous-thématique, ou d’avoir affaire à un cas particulier qui aurait d’autres éléments à nous communiquer. Ce type de questions facilitera également la remise en question du guide d’entretien et son adaptation.
  • Récoltez le retour sur expérience de votre interlocuteur et remerciez-le encore pour sa collaboration.

Conclusion

Comme vous avez pu le constater, de nombreux paramètres sont à prendre en compte avant et durant un entretien. Afin de s’assurer de la qualité d’une ou d’une série d’interview, il est essentiel de se préparer. Il s’agira donc de définir les thématiques et sujets à aborder, les types de questions et leur hiérarchie, ainsi que de potentielles formulations alternatives et explications. Il est essentiel d’équilibrer la charge cognitive de votre interlocuteur et de maintenir son intérêt et son envie de se dévoiler sur le thème en question. Au-delà de la méthodologie, il s’agira également de ne pas oublier les conventions, les mœurs et usages, afin d’assurer un sentiment de proximité propice à la confidence.

Sources

 

Images : Shutterstock



Publié dans Divers, Recherche.

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