5 mai 2020 1018 mots, 5 min. de lecture Dernière mise à jour : 15 mars 2022

Mini-cours de com n°6 : Communiquer c’est mentir

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
Emmanuel Tourpe nous fait le plaisir depuis plusieurs semaines de nous prodiguer un cours magistral, en format réduit, sur la communication. Emmanuel a bien voulu porter ses « mini-cours de com » de son fil Facebook à notre blog pour qu’ils profitent […]

Emmanuel TourpeEmmanuel Tourpe nous fait le plaisir depuis plusieurs semaines de nous prodiguer un cours magistral, en format réduit, sur la communication. Emmanuel a bien voulu porter ses « mini-cours de com » de son fil Facebook à notre blog pour qu’ils profitent au plus grand nombre. Car ces mini-cours synthétisent de manière brillante et drôle une matière complexe. N’en perdez donc pas une miette et veillez à consulter les mini-cours précédents : n°1, n°2, n°3, n°4, n°5.



Mini-cours de com n°6 :

« Communiquer c’est MENTIR… mais mentir de moins en moins »

Le Roi Thésée se relève, fumant de sueur, huilé par le sang encore chaud de son adversaire terrassé. Il vient de réaliser son sixième exploit : tuer enfin Procuste, qui terrorisait les paysans autour d’Athènes depuis si longtemps. Procuste et sa pratique si abominable qu’elle a traversé les siècles au même titre que les crimes du Comte Dracula. Procuste l’ignoble brigand aux crimes insensés : quand ce monstre d’aubergiste mettait la main sur un voyageur ou un client isolé il lui faisait subir une horrible torture sur l’un des deux lits que comptait son effroyable repaire : le malheureux était-il petit ? Procuste l’attachait sur son immense lit et sous des cris abominables il désarticulait la victime jusqu’à ce que ses bras et ses jambes démembrés occupent tout la cadre de ce lit de torture. Était-il grand ? Procuste le liait malgré ses hurlements dans le tout petit lit : alors, sous les yeux horrifiés de sa proie, il coupait tout ce qui dépassait : pieds, jambes, bras puis la tête.

Thésée combattant Procuste

Thésée combattant Procuste. Collection British Museum. © Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons

Communiquer c’est hélas étendre ce qu’on veut dire sur un lit de Procuste : réduire son propos ou le dramatiser à l’excès. Faire des caricatures ou des outrances.

On ne peut quand on parle, quand on montre, quand on écrit, que déformer son propre propos. Qu’exagérer ce qu’on veut dire ou que limiter ce qu’on pourrait dire. Communiquer, par nature, c’est tromper. Le surnom dHermès, le dieu de la communication chez les Grecs, est significatif : on l’appelait le « menteur ».

C’est choquant et pourtant combien fatal. Prenons ces petites leçons de com ou de philo que quelques-uns d’entre vous suivent pendant notre confinement. Puis-je y dire en quelques lignes tout ce que des cours très longs et approfondis permettent d’exprimer ? Non bien sûr. Un post Facebook est un minuscule lit de Procuste : tout ce qui ne convient pas aux règles de brièveté, de divertissement et de grande simplicité de ce réseau social doit être retranché. Donc je vous trompe. C’est la chanson de Bashung : la nuit je mens.
Et tous les commentaires en-dessous de mes petites chroniques disant que c’est quand même un peu court comme résumé ont raison bien sur. Comment pourrais-je tout dire en une fois de toi ce qui est à dire ou embrasser d’une seule parole la réalité ?

Autre exemple : personne ne met une photo de lui-même peu flatteuse sur un réseau social. Pourtant on peut se douter qu’avec une autre lumière, sans maquillage ou au réveil les choses en vont autrement même pour un mannequin. Nous mettons notre image sur le grand lit de Procuste.
Quand j’écris à une amie est-ce que je lui dis tout ce que je pense, ou ce que je choisis de lui raconter pour ne pas la vexer, ou au contraire pour la provoquer : je cache, j’exagère, je suis Procuste quoi que je fasse je mens. Je ne parle même pas des publicités. Ou des publications des instagrammeurs.

Cela va loin. Les recherches sur les médias ont montré que ceux-ci ne nous disent pas forcément ce qu’il faut penser mais À quoi il faut penser. Par nature ils trient les événements, fonctionnent comme un guichet (ce sont des « Gatekeepers », des videurs de salle) : ils décident de ce qui doit occuper notre attention. De ce qui fait l’actualité.

Communiquer c’est mentir – mais c’est mentir de moins en moins. Parce que la communication est un ajustement , une adaptation, un processus qui se construit peu à peu. C’est une interaction : celui qui s’exprime reçoit en retour les réponses, les commentaires, de celui qui a reçu le message. C’est la théorie du « Feed back » (retour à l’envoyeur) formulée par un certain Wiener après-guerre : communiquer c’est améliorer sans cesse ce qu’on dit, c’est, sous l’effet de l’autre à qui je parle – devenir Thesée et tuer peu à peu le Procuste en moi.
Les commentaires sous les posts auxquels je réponds, la réponse de l’autre à mon mail ou à ma parole. La communication que je fais me change moi-même et me contraint à montrer une vérité toujours plus grande.
Plus la communication avance plus la vérité se montre. Plus elle est fait dans le dialogue et l’amour, plus elle est révélatrice et moins elle cache.
Hermès peut aussi être le messager des dieux et cesser d’être espiègle ou menteur.

Communiquer c est entrer ensemble et peu à peu dans la vérité, mais c’est un processus, une histoire fragile, un devenir. Un drame fait d’échecs, de relances, de recommencements. C’est une histoire. Communiquer c’est une conversion de tous les participants à une vérité qui veut s’échapper du lit de Procuste. Seul le dialogue, et un dialogue d’autant plus efficace qu’il est plus aimant, sauve la communication du mensonge et de l’échec auquel elle est sinon condamnée.


Image d’illustration : shutterstock



Publié dans Divers.

Donnez votre avis

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *