18 janvier 2017 543 mots, 3 min. de lecture

Des scientifiques démontent le mythe des bulles de filtres

Par Pierre-Nicolas Schwab Docteur en marketing, directeur de IntoTheMinds
L’intérêt pour le phénomène des bulles de filtres a atteint un sommet historique après les élections présidentielles américaines de 2016 (voir notre article sur le sujet). L’existence des bulles de filtres a été mise en exergue par Eli Pariser en […]

L’intérêt pour le phénomène des bulles de filtres a atteint un sommet historique après les élections présidentielles américaines de 2016 (voir notre article sur le sujet).
L’existence des bulles de filtres a été mise en exergue par Eli Pariser en 2011, mais elle reste soumise à discussion. Selon Pariser, les algorithmes implémentés sur les sites web pour rendre plus facile notre vie numérique, sont en fait une prison invisible qui nous enferme dans nos choix passés (les algorithmes menacent-ils notre liberté ?). Pour les opposants à cette thèse l’Internet offre au contraire un choix illimité qui nous libère et augmente le potentiel de découvertes intéressantes (sérendipité).

Il existe très peu de travaux scientifiques empiriques analysant l’existence des bulles de filtres. Bakshy, Messing et Adamic (2015) ont exploré sur Facebook les bulles de filtres appliquées des opinions politiques. Ils ont conclu que Facebook, loin d’enfermer ses utilisateurs, augmentait au contraire l’exposition de ces derniers à des opinions différentes. La crédibilité leur travail a toutefois souffert de l’affiliation de l’auteur principal avec Facebook Labs. C’est pourquoi j’ai été très heureux de lire une autre recherche empirique menée par Seth Flaxman (Université d’Oxford), Sharad Goel (Université Standford) et Justin Rao (Microsoft Research) sur le sujet. Cette dernière ne souffre pas des craintes déontologiques inspirées par la première.

Les résultats de cette recherche ont été publiés en 2016 et se basent sur les habitudes de lecture en ligne de 50 000 utilisateurs américains anonymisés. Si vous êtes adeptes des détails techniques, l’article est disponible ici.
Permettez-moi d’aller directement aux conclusions :

  • les réseaux sociaux augmentent le phénomène de polarisation, conduisant à lire seulement ce qui vous confortent dans votre idéologie politique
  • l’abondance d’informations disponibles sur Internet conduit en effet à une polarisation idéologique; L’effet est marginal pour les nouvelles descriptives (94% de la consommation) et substantiel pour les articles dits d’opinion (6%)
  • seulement 1 clic sur 300 sur Facebook conduit à lire des articles de fond. Les 299 clics restants conduisent à des sites Web de partage de vidéos ou de photos
  • 78% des utilisateurs s’informent auprès d’une source seulement, 94% auprès de deux sources au maximum. Ces sources sont principalement de type « grand public », c’est-à-dire présentent un point de vue tendant vers le centre.
  • les utilisateurs les plus orientés idéologiquement (2%) consultent une grande variété de sources d’information, mais cantonné à celle qui correspondent à leur idéologie. Cette consultation se fait par navigation directe. Les algorithmes ne jouent donc aucun rôle.

Conclusion

Les auteurs concluent que «bien que les mécanismes des bulles de filtres et des « chambres d’écho » semblent augmenter la polarisation en ligne, leurs effets globaux sont quelque peu limités ».
Pour la grande majorité des utilisateurs (94%), les sources d’information sont limitées en nombre (<= 2) et neutres. Les utilisateurs ayant des opinions plus extrêmes accèdent directement à un plus grand éventail de sources qui renforcent leurs croyances.
Cette recherche montre donc que nous vivons déjà dans des bulles que nous créons nous-mêmes; Les algorithmes ne contribuent que marginalement à renforcer ces dernières.



Publié dans Data et IT, Marketing, Recherche.

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