Pokemon Go : ce que ce jeu révèle sur notre nature humaine

Les médias ont été prompts à célébrer la popularité incroyable de Pokemon Go. Le marché boursier a suivi rapidement et l’action Nintendo est montée en flèche, gonflée par un excès d’enthousiasme, avant que les investisseurs ne s’aperçoivent que Nintendo n’était pas vraiment à l’origine du phénomène.
Outre le succès commercial et financier, le jeu Pokemon Go nous en dit également long sur nous-mêmes et sur le devenir de notre société. Voici pour moi la plus grande leçon à tirer de tout ceci.

La réalité augmentée

La réalité augmentée n’est pas une technologie nouvelle. Elle a été utilisée dans un grand nombre d’applications telles que les Google Glass par exemple. En notre qualité d’agence d’études de marché, nous avons été confrontés plusieurs fois à des projets utilisant cette technologie et avons participé au lancement d’une application basée sur la réalité augmentée dans le secteur médical.
Pourtant, la réalité augmentée est restée longtemps une technologie un peu confidentielle et il faut bien reconnaître que Pokémon Go a sans doute été la première application à la populariser.
On notera au passage que c’est un jeu qui a contribué à diffuser cette technologie. La gamification serait-elle un passage nécessaire pour capter notre attention ? Le futur nous réserve-t-il d’autres tentatives de gamification afin de nous motiver, par exemple, à aller voter comme Evgeny Morozov le prédit dans son livre  » to save everything click here » ? Nos poubelles seront-elles connectées et gagnerons-nous des points lorsque nous ferons notre devoir de citoyens en recyclant ?
Au final, la question est la suivante: Sommes-nous encore capables de nous unir, de réagir comme groupe sans l’aide de la gamification ? Tout doit-il être transformé en jeu pour que nous nous y intéressions ? Et plus généralement, sommes-nous encore une espèce grégaire ou sommes-nous en train de devenir une espèce faite d’individus solitaires, connectés virtuellement aux autres ?

Nos cerveaux sont-ils en train d’être reprogrammés pour le multitâche

Mes préoccupations au sujet de l’évolution de notre espèce ne se limitent pas à l’instinct grégaire. Elles concernent aussi ce qui se passe dans notre corps et l’effet de la technologie sur nos cerveaux.
Le succès de Pokemon Go illustre parfaitement notre dépendance à notre smartphone et ne fait qu’ancrer encore plus nos capacités à « switcher » d’une tâche à l’autre. Dans un autre billet je m’attachais à démontrer comment cette situation nous enfermait dans la médiocrité. Toutefois, après avoir lu le livre « What Technology Wants » de Kevin Kelly, je me demande si nous ne vivons tout simplement pas une époque de mutation qui conduira notre cerveau à se reprogrammer. La science a désormais démontré que le cerveau pouvait être reprogrammé et que de nouvelles capacités pouvaient être développées à tout âge (voir à cet effet l’excellent livre de Cyrulnik et al. 2012).
Il faut accepter que la quantité de stimuli auxquels nous sommes soumis quotidiennement (emails, sms, publicités, …) ne fera qu’augmenter et que cette évolution est irréversible. Peut-être est-ce déjà trop tard pour imposer d’anciennes façons de travailler (monotâches). Peut-être l’espèce humaine est-elle déjà en train de s’adapter à une nouvelle situation technologique.

Et après ?

Il y a peu de chances que la tendance s’inverse. Les technologies autour du Big Data permettent de traiter des quantités de plus en plus grandes de données et notre désir de prévoir l’avenir nous conduira forcément à multiplier les captations de signaux. Le prochain jalon est celui de l’internet des objets et la multiplication des capteurs pour mesurer et tenter de maîtriser notre environnement. Les possibilités de rester connecté au monde numérique ne feront donc qu’augmenter. Il n’y a pas de retour en arrière possible.
Voici d’après mois ce qui va se passer. Nous porterons dans le futur de plus en plus d’appareils connectés sur nous et même dans notre corps (probablement sous la forme de capteurs ou de mini-ordinateurs pourvus de processeurs). Cette convergence du corps humain et de la technologie servira de support à l’interprétation d’un nombre croissant de signaux que nous recevrons. Notre mémoire sera chez Google et les dispositifs technologiques nous serviront par exemple à sonder cette mémoire externe pour concentrer nos capacités cognitives sur d’autres tâches.

Par Pierre-Nicolas Schwab Pierre-Nicolas est Docteur en Marketing et dirige l'agence d'études de marché IntoTheMinds. Ses domaines de prédilection sont le BigData l'e-commerce, le commerce de proximité, l'HoReCa et la logistique. Il est également chercheur en marketing à l'Université Libre de Bruxelles et sert de coach et formateur à plusieurs organisations et institutions publiques. Il peut être contacté par email, Linkedin ou par téléphone (+32 486 42 79 42)